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illustration : détail de Lady Lilith, par Dante Gabriele Rossetti, 1866

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En lien avec le projet Cheveux au vent auquel s’associe Jeudidesmots.com, (voir la page « atelier de création – Cheveux au vent ») voici un poème qui m’accompagne depuis l’enfance – appris pour un concours de poésie en classe de 3ème, et toujours caressant ma mémoire, le seul que je connaisse de Charles Vildrac, évoquant toute la splendeur sensuelle de la chevelure, mais aussi le rêve de liberté qu’ils proposent, et que retrouvent les femmes iraniennes qui jettent leur voile, geste de courage et d’espoir auquel le projet fait écho.

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Si l’on gardait, depuis des temps, des temps,
Si l’on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tisser les voiles
Qui vont à la mer,

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Il y aurait tant et tant sur la mer,
Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs,
Et tant de cheveux de nuit sans étoiles,
Il y aurait tant de soyeuses voiles
Luisant au soleil, bombant sous le vent
Que les oiseaux gris qui vont sur la mer,
Que ces grands oiseaux sentiraient souvent
Se poser sur eux,
Les baisers partis de tous ces cheveux,
Baisers qu’on sema sur tous ces cheveux,
Et puis en allés parmi le grand vent…

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Si l’on gardait, depuis des temps, des temps,
Si l’on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,

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Si l’on gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tordre des cordes,
Afin d’attacher
A de gros anneaux tous les prisonniers
Et qu’on leur permît de se promener
Au bout de leur corde,

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Les liens de cheveux seraient longs, si longs,
Qu’en les déroulant du seuil des prisons,
Tous les prisonniers, tous les prisonniers
Pourraient s’en aller
Jusqu’à leur maison…

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Charles Vildrac (1882-1971), Livre d’amour, Paris, Seghers, 1959/2005.