photo mbp

Modestement, je répare
mon petit morceau
de la planète

Paolo Zanardi

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Wansoo Kim (Corée), Mario Fresa (Italie), Peter Boyle (Australie), Jean-Michel Sananes (France), Parme Ceriset (France), Paolo Zanardi (Italie)

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시의


시의 집은

그릇이나 건네지 못하지만

밥이나 돈으로 없는

기쁨이나 위로가 솟는 샘물이 있으니

시의 집을 지으리

시의 집은

전쟁을 이길 있는 무기는 만들지 못하지만

전쟁을 막거나 이길 있는

지혜나 용기가 흐르는 피를 수혈해줄 있으니

시의 집을 지으리

시의 집은

폭군의 칼은 없지만

폭군의 혀를 길들이는

스승이 있으니

시의 집을 지으리

시의 집은

시간이 연인의 이마에

주름살 새기는 막을 묘책은 없지만

연인의 미소 짓는 눈동자를

영원히 간직하는 책이 있으니

시의 집을 지으리

시의 집은

죽은 자를 살리는

영약(靈藥) 아니지만

죽을 자를 살리는

묘약이 있으니

시의 집을 지으리

시의 집은

생사 모든 것이

무덤으로 들어가는 막지는 못하지만

사라지는 것들의 빛나는 순간들을

영원히 살게 하는 예술품이 있으니

시의 집을 지으리

영혼의 모든 살을 갈기갈기 찢어서라도

Wansoo Kim

La Maison d’un poème

Je construirai la maison d’un poème

Parce que ça ne coûte pas une miette ou un sou

Mais qu’elle peut être une source de joie ou de réconfort

Qu’une miette ou un sou ne peuvent procurer.

Je construirai la maison d’un poème

Parce que ça ne fabrique pas d’armes pour gagner une guerre

Mais qu’elle peut infuser le sang de la sagesse ou du courage

Pour empêcher ou gagner une guerre.

Je construirai la maison d’un poème

Parce qu’elle n’aura pas de couteau de tyran

Mais pourra être un professeur

Pour apprivoiser la langue du tyran.

Je construirai la maison d’un poème

Parce que ça n’a pas de plan brillant

Pour éviter que le temps ne ride le front de ma bien-aimée

Mais qu’elle peut être un livre conservant à jamais

Son visage souriant.

Je construirai la maison d’un poème

Parce que ce n’est pas un médicament miracle

Pour rendre les morts vivants

Mais qu’elle peut être un médicament miracle

Pour rendre la vie au mourant.

Je construirai la maison d’un poème

Même s’il me faut lacérer toute la chair de mon âme

Parce qu’elle n’empêche pas que les choses de la vie

N’entrent dans la tombe

Mais qu’elle peut être une œuvre d’art pour faire vivre à jamais

L’éclat éphémère des choses qui disparaissent.

traduction Marilyne Bertoncini

Insetti da Paradiso

La guerra è una cattiva linguista:

il suo veleno fa storia,

e tira via le coperte, toccandosi gli occhiali

per andare ad aceto.

Ma io dico che se piove

tra le gambe, su dai tetti, poi di sicuro

ci cascherà col sangue sopra, come una crepa

al muro; ovunque siedano le nostre

povere tempie.

E ripeto che per essere pace,

si dev’essere un’altra persona.

Anche Dio sa di gola, senti?

L’infermità diventa prima cenere,

poi carne cruda che astutamente

preme il cuore.

Mario Fresa

Insectes du Paradis

La guerre est mauvaise linguiste :

son poison fait l’histoire,

et se découvre en touchant ses lunettes

pour tourner aigre.

Moi, je dis que s’il pleut

entre les jambes, depuis les toits, on peut être sûr

que ça nous tombera dessus avec du sang, comme une fissure

au mur; qu’importe où sont assises nos

pauvres tempes.

Et je répète que pour être la paix,

il faut être une personne différente.

Même Dieu a mauvaise haleine, tu le sens ?

La maladie au début devient cendre,

puis viande crue qui sournoisement

oppresse le coeur.

trad. Marilyne Bertoncini

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To listen to Ivo Pogorelich play Rachmaninoff is to know that elegance is a form of sadness raised to a level where it can go on growing. You walk and you keep walking because there is nowhere. In the still photo Pogorelich in his gold robe looks like a Buddhist monk who has lost his way forever and lives now in notes trapped in the ether surrounding a vanished planet. Rachmaninoff is dying in a railway carriage in the Midwest while America is poised to bomb Japan and Russia the cities of Ukraine, not sparing the gold-domed cathedrals of Kiev. Dwarfing the tiny shadow of Rachmaninoff, Death floods out of his music to scoop up the brittle future. Elegance is this constant slight jarring of harmony with discordant edges that leads into unknown spaces. Incapable of collective sanity yet gifted with instinctive flashes that might have transformed us into givers of light and silence, humans leave in their wake an invisible fabric that is both sadness and beauty.

— written 28-29 March, 2022, thinking of the horror that is this war against Ukraine.

Peter Boyle

Ecouter Ivo Pogorelich jouer Rachmaninoff, c’est comprendre que l’élégance est un forme de tristesse élevée à un niveau tel qu’ elle peut continuer à croître. On marche et on  continue de marcher parce qu’il n’y a nulle part. Dans l’image fixe,  Pogorelich en robe d’or ressemble à un moine bouddhiste ayant  perdu son chemin à jamais  et qui vit désormais dans des notes captives de l’éther entourant une planète disparue. Rachmaninov est en train de mourir dans un wagon de train dans le Midwest tandis que l’Amérique s’apprête sans sourciller à bombarder le Japon, et la Russie les villes de l’Ukraine, sans épargner les dômes dorés des cathédrales de Kiev. Écrasant l’ombre infime de Rachmaninov, la mort déverse sa musique pour rafler le fragile futur. L’élégance est cette permanente et légère dissonance d’harmonie aux bords discordants qui mène vers des espaces inconnus. Incapable d’avoir une santé mentale collective mais doué de flashs instinctifs qui auraient pu nous transformer en dispensateurs de lumière et de silence, les humains laissent dans leur sillage une trame invisible faite à la fois de tristesse et beauté.

— écrit les 28 et 29 mars 2022, en pensant à l’horreur qu’est cette guerre contre l’Ukraine.

trad. Marilyne Bertoncini

De ciel et d’oiseauxJ’aimerais tant habiter ce ciel de feuilles et d’oiseaux et ne jamais regarder en bas.

Ne plus voir courir au sol la peur des lendemains.

Ne rien savoir de ces heures où, entre chien et loup, la vie se joue au poker des fous.

Ne plus hurler quand on livre le vent, les fleurs et les enfants à la faucille des fossoyeurs de l’Histoire.

Ne rien savoir des dégommeurs du rêve.

Ne plus entendre les jardiniers du crime, leur fumier, leur chiendent, leur râteau, parler d’amour dans le crépitement de gueules de loup et la joie des chrysanthèmes.

Ne rien savoir de l’élite des sourds qui dînent au caviar dans leurs repas d’affaires au nez des affamés.

Ne plus rien entendre des maîtres chanteurs sourds-muets qui, sans sourciller, applaudissent la mort quand la marée-chaussée, au ciel jette des orties, de la poudre et du feu dans les hourras d’une foire grandiloquente où l’on brade la peau humaine.

Ne plus les entendre parler de pétrole et de bienséance quand la parole endimanchée appelle à des parades au pas de loi.

Ne plus voir applaudir ces messieurs de la haute finance qui, du ciel, ne connaissent que les cols blancs des vautours et qui vendent l’acier au cours du canon, si pressés de nous voir tous tomber dans la souricière funeste des tisserands de linceuls, nous parlent d’avenir et envoient les hommes à la mort.

Je ne veux plus entendre les discours toni-truants des persifleurs de haines, leurs envolées lyriques qui résonnent comme des injures à la vie, leurs nostalgies d’un siècle qui s’enivre de ses vieilles blessures et oublient que demain nos enfants piailleront comme des oiseaux gourmands d’alphabets d’amour.

Je ne veux plus les bréviaires de promesses d’hommes niant que les différences sont les facettes premières de la beauté.

Je ne veux pas jouer à triche et gagne.

Je ne sais qui, de vit ou meurt, a la meilleure donne.

Je ne sais que le goût des larmes et le cœur des mères.

Mais j’aimerais tant habiter ce ciel de feuilles et d’oiseaux, et croire que Quelqu’un nous écoute.

Jean-Michel Sananes

Au Nom de la Paix

Quel est le prix d’un regard

qui arpente le ciel

en quête d’idéal ?

Quel est le prix des passions

le prix des souvenirs, 

le prix de la liberté, 

celui du désir ?

Quel est le prix de la vie humaine,

de la froide négation de l’autre 

sur les chemins du sens perdu ? 

D’où naît l’indifférence 

de celui qui broie l’être 

sous ses semelles brûlantes,

la cascade mortifère 

des haines incandescentes ?

La paix n’a pas de prix, 

mais on vend les colombes

au marché de la rage,

aux enchères des tombes. 

La liberté, seule, demeure insaisissable :

elle s’est réfugiée sur une étoile.

Alors au nom des regards, au nom de la vie,

puissent les enfants se baigner 

dès leurs premières joies

aux sources d’empathie, 

qu’ils apprennent à réfléchir à deux fois 

avant de piétiner les anges.

Parme Ceriset

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Da qualche giorno noto

sul pavimento sabbiolina bianca

come se un tarlo rosicchiasse il muro.

Gli orli dell’intonaco vanno sgretolandosi

nascostamente, nell’ombra degli stipiti.

Mi chiedo se sia così

che finisca lentamente il mondo.

Mi armo di stucco, di spatola,

rattoppo crepe, pareggio bordi,

chiudo fori lasciati dai chiodi

dei quadri del passato.

Dalla sala chiamo in aiuto

Miles con la sua tromba,

aggiungo una poesia di Walcott

mentre in cucina cuociono gli asparagi.

Modestamente aggiusto il mio piccolo

lembo di pianeta.

Paolo Zanardi

Depuis quelques jours je remarque

une poussière de sable blanc sur le plancher

comme si un ver rongeait le mur.

Les bords du plâtre s’effritent peu à peu

secrètement, à l’ombre des montants des portes.

je me demande si c’est de cette manière

que le monde lentement prend fin.

Je m’arme de mastic, d’une spatule,

je comble les fissures, j’égalise les bords,

Je bouche les trous laissés par les clous

des tableaux d’autrefois.

De la salle j’appelle à l’aide

Miles et sa trompette,

J’ajoute un poème de Walcott

tandis qu’en cuisine cuisent les asperges.

Modestement, je répare mon petit

morceau de la planète.


trad. Marilyne Bertoncini