photo J.L

Marie-Claude San Juan (France), Raed Anis Al-Jishi ( Alquateef – Saudi Arabia ), Norbert Paganelli (Corse-France), Gilles Plazy (France), Francis Combes (France), Jean-Claude Bourdet (France), Consuelo Jiménez (Espagne), Dana Shishmanian (Roumanie-France), Mihalea Oancea (Roumanie)

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Des mots en bleu

Si j’étais libellule
je partirais
dans le bleu de mes longues ailes transparentes
glissant loin un souffle
sur le front des enfants d’Ukraine
en magicienne protectrice…
Un souffle
sur le front de tous.
.

Mais libellule je ne suis pas
ni même serpent bénéfique
pouvant, ailleurs,
piquer le crâne d’idéologues malfaisants,
insuffler alors un renversement de conscience.
.

Ni libellule ni serpent,
juste quelqu’un qui écrit.
Refusant les bulles d’enfermement
et souffrant des fêlures du réel
dont les ondes d’horreur
sont un noir océan de douleur.
Réminiscence de Syrie en Ukraine, a dit Raphaël Pitti,
médecin au secours.
Il alertait, pleurs de rage contre les surdités.
Et il va, encore présent, avec Ahmed Bananeh,
médecins au secours.
.

Mais moi, ni libellule ni serpent ni médecin,
juste quelqu’un qui écrit,
je ne veux pas nourrir mon âme de cendres.
Pas même traductrice de l’ukrainien,
comme qui offre des poèmes à lire (Marc Georges)
pour nourrir nos âmes de vie.
Pas même reporter de guerre pour dire et montrer.
Informer, cependant, ma part de colibri, oui cela je fais.
Démonter les mensonges, aussi il faut.
Et marcher dans les rues, parole foule.
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Parole foule, autrement, les poèmes, fils tissant le monde.
Tissu de cris contre la mort.
Secours des phrases portant ceux qui résistent
pour eux, pour nous, pour tous.
Je crois aux mots,
ce lait contre la terreur qui pénètre,
ce miel contre le renoncement intérieur.
Picasso a peint Guernica,
et Guernica recommence.
Mais je crois aux doigts peintres du street art solidaire
sur les murs du monde
et sur ceux de l’Ukraine.
Signature C215 de Christian Guémy…
.

Libellule, si je cherche en moi le silence qui sait
j’atteindrai le bleu de tes ailes et le souffle qui peut.
Écriture, pour l’instant.
Peut-être un cri, dans le gouffre de toutes nos voix,
collectif pouvoir.

Marie-Claude San Juan

Oublier

 

En séjournant dans la caverne,

ne risques-tu pas d’oublier la respiration de la montagne ?

Ne risques-tu pas d’oublier la fatigue de de tes pas

lorsque ils piétinaient les ronces ?

Tandis que les minutes tombent comme des pierres

Comme la clameur des clichés,

Ne risques-tu pas d’oublier les scarabées bousiers

qui se reproduisent dans l’eau putride,

et qui offrent à leurs femelles

des cadeaux de boulettes d’engrais excrémentiel ?

La femelle que tu as oubliée

n’était pas une femme,

mais la pure perte de ton avidité différée,

et la culture d’un désir qui aurait pu mûrir.

Quand tu te souviendras,

écris ton espoir

sur les lambeaux du vent.

Dans l’odeur de fumier, cueille

des phéromones de musc; apprivoise-les,  appelle-les.

Ils viendront à toi  en conscience.

un attirance sexuelle lie musc et défécation,

comme une envie de chocolat tandis qu’on lit.

Ton désir est contre l’injustice.

Quand tu te souviendras,

dis : O, brave insecte,

grand et sage est ton nez.

Et à ces insectes visqueux,

qui mangent ton herbe à la fin d’une journée bien pleine

qui ont le nez courbé

ou en crochet

Dis : Oh, brave insecte,

ta grand-mère au millionième degré a été percutée

par le pare-brise d’une voiture

appartenant à une créature droguée de Tango

qui n’a pas prêté attention à ton éternelle tristesse.

Quand tu te souviendras,

ne dévale pas de la montagne

sur les poumons du chaos.

Accorde plutôt à l’écho

la liberté de s’affranchir

du gâchis et de l’abîme,

fatidique vigilance,

car cette caverne

ne se soucie pas de l’éternité de la montagne,

ni de son aptitude à coexister avec

la fascination pour les acrobaties.

Raed Anis Al-Jishi (Tiré de Tablettes d’argile dans la caverne de Nietzche) – adaptation depuis l’anglais ; Marilyne Bertoncini

FATIGUE/STANCAGHJINA

Norbert Paganelli

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Ciel descellé paupières ouvertes 

sur des prairies généreuses une beauté 

initiale innocente notre désir le fruit 

de l’éternité se lève de l’argile étonnée 

musique joyeuse un dieu chaque jour 

naît dans un cœur d’enfant s’inscrit 

dans le mouvement des astres le rire 

des démons n’incise pas notre peau 

un jour encore aux abois de la nuit 

se glisse à l’intérieur des mains ouvertes 

et dans l’émotion se joue l’offrande 

d’un bouquet d’étoiles la lumière 

blanchira dans le mystère de l’être 

une toison d’or brille derrière l’océan 

trois chevaux blancs défont les chaînes 

de la mer dans la louange des ajoncs 

l’infini vient mourir incidemment 

sur la ligne qui relie le mot amour 

à la grande sagesse des constellations 

la liberté s’éveille dans les fourrés 

de la solitude qui pour l’homme se joue 

des digues autant que des ornières.

Gilles Plazy Extrait de Rouge au vent de l’aube

Pour la paix quotidienne

                                    À Patricia      

Nous qui aimons tant le changement

Et trouvons parfois la vie trop quotidienne

Nous avons bien besoin pourtant de la routine

Du soleil qui se lève chaque matin

Et nous fait de l’œil par la croisée de la fenêtre

Du café qui murmure en passant au réveil

De l’odeur du pain frais

De ton baiser chaque jour renouvelé

Et même de la visite du pigeon chapardeur

Qui vient derrière la vitre picorer quelques miettes…

Et que la mort, la maladie, la guerre

Surgissant, détruisent cette routine

Et le monde en couleurs où nous vivions

Soudain se change en noir et blanc.

Francis Combes, Le 15/IV/2022

Le cri

N’ayez pas de crainte, l’aube veille.

Les affolantes courbes du cœur

Palpitent dans la main blanche.

Laissent les fils de l’espoir tendus

Comme les cordes de la guitare.

Elle chante dru après la nuit, fait danser

Insomnie, rêves, cauchemars.

Ivresse coupable d’hommes

Lessivés par l’amer, le salé de la terre.

Les deux pieds nus flanqués de la mort.

La ligne de leur vie de merde.

L’étreinte de la haine me laisse pantelant dans le matin frais.

Epuisé par la lutte : les tuer toutes

L’angoisse, la peur, la misère !

Eliminer : la faim, l’incertitude, la violence !

Je suis de là, de là-bas, de l’arbre, de la fleur du Baobab, de la feuille de l’eucalyptus.

Je suis du léopard, de l’éléphant, de la hyène, de la fourmi !

Je suis du conflit, de la déflagration, de la fragmentation !

Je fuis, fuir si longtemps que le soleil ne s’en relève pas !

Ecraser la honte, l’impuissance, le cri terrible de l’amour !

Laisser couler le sang souillé de la guerre !

Laisser flamber les graines de la prospérité !

Epuisé par l’argile rouge, laisse aller la main de la paix.

JC Bourdet, 2022

LA GUERRA

Un lienzo triste, acopio de nubes grises,

parece maldecir la vida.

Todos los pájaros se han volado,

huyen despavoridos de la guerra.

Ráfagas de metralla devastan un país.

Entre escombros yacen los cadáveres del vulgo.

Me avergüenzo del hombre y sus crímenes.

Existe un ruido atroz en el cielo,

que crucifica los corazones.

El amor, parece una burla de todos los dioses,

sumido en la garganta del odio,

hecho añicos, va quebrando sin remedio.

¿ A quién rezarle ?

¿ Dónde están los corros de gorriones que inspiraban las calles ?

¿ Dónde ha quedado aquel sigilo calmo de la paloma

que anidaba en la azotea de cualquier casa ?

Siempre me han dado miedo las gaviotas,

ahora, anhelo su regreso,

planeando sobre nuestras cabezas.

Entre la herrumbre, se escucha el llanto de una madre,

los buitres siguen sin tener piedad.

En la alcantarilla, asoma otro muerto más.

La que escribe, tiene entre ceja y ceja, al universo.

Consuelo Jiménez

LA GUERRE

Une toile triste, amas de nuages gris,

semble maudire la vie.

Les oiseaux, tous envolés,

fuient dans la frayeur de la guerre.

Des rafales d’obus dévastent un pays.

Les cadavres gisent entre les décombres, un peuple.

L’humain et ses crimes, de cela j’ai honte.

Atroce ce bruit dans le ciel,

qui crucifie les cœurs.

L’amour, broyé au fond de la gorge de la haine,

brisé sans espoir de salut,

comme une farce de tous les dieux.

Qui prier ?

Où sont les vols circulaires des moineaux, inspirateurs des rues ?

Où est passé ce discret calme de la colombe

nichant sur n’importe quelle maison ?

Toujours m’ont effrayée les mouettes,

maintenant j’aspire à leur retour,

planant au-dessus de nos têtes.

Dans l’altération des lieux on entend les pleurs d’une mère,

les vautours demeurent sans pitié.

Des égouts surgit la vision d’un autre mort de plus.

Celle qui écrit porte l’univers, entre ses yeux.



traduction Marie-Claude San Juan

Ne pas sombrer…

Le temps se recourbe et se plie

Il me semble revivre des malheurs passés

Dont jamais je ne croyais devoir me souvenir

La mort n’est jamais paisible

Il faut veiller jusqu’à la dernière heure

Sans céder à la grégarité – d’où qu’elle claironne ses appels guerriers –

Viser plutôt les pieds du colosse – même pas besoin de fronde –

Ils sont toujours en argile

De l’eau beaucoup d’eau pour les faire fondre

Éteindre les feux enterrer les morts relever la tête respirer

Ne pas sombrer

*** 

En ce jour de résurrection

Oui, une femme ukrainienne – une femme russe –

Unies dans le silence de la prière gardant la flamme de l’amour

L’espérance de la paix…

Ne laissez pas la haine obnubiler vos esprits, gangréner votre cœur !

Se battre, oui, contre les envahisseurs

Mais haïr les démons qui les ont infestés –

et non les hommes qu’ils mènent au précipice tels des porcs…

Sinon c’est que les démons vous ont infestés vous aussi

Dana Shishmanian 7 mars – 17 avril 2022

risipire

după o nemiloasă grindină – tăcere larvară.

în chenarul gol al ușii

un copil desenează chipul mamei – pe curbele morții

se face liniște.

amintirile dorm în cuiburi – treptat

li se vor risipi oasele.

éparpillement

après une féroce chute de grêle – silence larvaire.

dans le cadre vide de la porte

un enfant dessine le visage de la mère – sur les courbes de la mort

tout est muet.

les souvenirs dorment dans leurs nids – progressivement

leurs os s’éparpilleront.

ceață

miriște ce întinde spre cer

brațe osoase. strigăt galben de inutilitate.

din căușul ceții

o pisică pândește ferestrele ce-au învățat

cum se moare bărbătește.

brouillard

champ de chaume tendant vers le ciel

des bras osseux, cri jaune d’inutilité

du creux de la brume

un chat guette les fenêtres – elles ont appris

à mourir comme des hommes

departe

de draperiile verde mentă/de ploaia

ce se-agață de plafoane/de ferestrele ucise

departe de visurile uscate cum Atacama/de gratiile

după care umbli tiptil/departe de

nebunul ce întunecă decorul cu o crudă injectare

de lumină –

viața îți încape într-o valiză

Mihaela Oancea

loin…

des rideaux verts-menthe/de la pluie

qui s’accroche aux plafonds/des fenêtres occises

loin des rêves désertifiés comme Atacama/des barreaux

derrière lesquels on bouge en tapinois/loin de

l’insensé qui enténèbre le décor avec une cruelle injection

de lumière –

ta vie se tient dans une valise


trad. Dana Shishmanian