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L’émoi du jeudi continue de publier les messages reçus en soutien aux peuples en guerre, au peuple ukrainien, souffrant dans sa chair, à la population russe, soumise à la désinformation, et à la douleur aussi – et à nos frères et soeurs humains frappés par la violence aveugle des ambitions de pouvoir et de domination. Le premier poème évoque le soin pris à Lviv par les habitants pour sauver aussi la plus haute expression de la culture humaine – notre patrimoine artistique

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Krystyna Dąbrowska (Pologne) traduite par Isabelle Macor, Niels Hav (Danemark), Béatrice Pailler (France) Claudine Bertrand (Québec), Rolf Doppenberg (Suisse), Anne-Lise Blanchard (France), Perle Vallens (France)

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Przygotowania

Ludzie zabezpieczają

posągi przed ostrzałem:

pierwsza warstwa – miękka otulina,

żeby kamień oddychał,

druga – wełna mineralna,

ognioodporny płaszcz;

najcenniejsze zdejmują z wież, cokolów, krzyży

i chowają w bunkrach.

Istoty z krwi i kości,

w żywych tkanek, nerwów,

próbują chroni

stare rzeźby,

swoje boginie, bachantki, królowe i święte,

swoich bezbronnych aniolów strózów.

KRYSTYNA DĄBROWSKA
lauréate du prix Wislawa Szymborska 2017
05-06.03.2022

Préparatifs1

Les gens mettent les statues

en sécurité en prévision des tirs :

une première couche – un revêtement moelleux

pour que la pierre respire

une deuxième – de la laine de roche,

un manteau ignifuge ;

ils enlèvent les plus précieuses des tours, socles, croix

et les cachent dans des bunkers.

Des êtres de chair et de sang,

de tissus vivants, de nerfs,

tentent de protéger de vieilles sculptures,

leurs déesses, bacchantes, reines et saintes,

leurs anges gardiens sans défense.

Traduction Isabelle Macor
( le 22 mars 2022)

1 – La ville de Lviv est occupée à protéger ses oeuvres d’art depuis trois semaines en prévision de bombardements

KRIG

Ordet krig er forbudt i Rusland,

heldigvis.

Ord som angst, skrig og bomber

skal også forbydes. 

Det dummeste er at tænke.

Ordet invasion er allerede forbudt.

Det er forbudt at nævne hærens tabstal.

Grædende soldater må ikke omtales.

Lig i gaderne og kvaste børn er bandlyst,

gruen i kældre og underjordiske stationer.

Ordet død er heldigvis forbudt –

døden er illegal i Rusland. 

© Niels Hav 

GUERRE

Le mot guerre est interdit en Russie,

heureusement.

Des mots comme anxiété, cris et bombes

doivent aussi  être interdits.

Le plus débile est de penser.

Le mot invasion est déjà interdit.

Le nombre de victimes de l’armée n’existe pas.

Il ne faut pas parler des pleurs des soldats.

Les cadavres et les enfants écrasés sont interdits,

et l’horreur des sous-sols et des stations de métro.

Heureusement, le mot mort est interdit –

la mort est illégale en Russie.

trad. Marilyne Bertoncini

(ce poème, traduit en 13 langues, dont le russe, a été publié dans la revue danoise POLITIKEN)

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WAR
The word war is banned in Russia,
fortunately.
Words like anxiety, screams and bombs
must also be banned.
The dumbest thing is to think.
The word invasion is already banned.
The army’s casualty figures doesn’t exist.
Crying soldiers must not be mentioned.
Corpses and smashed children are banned,
the horror in basements and metro stations.
The word death is fortunately forbidden –
death is illegal in Russia.

ВОЙНА
К счастью,
cлово война в России сейчас запретили.
Пора запретить и такие слова, как тревога,
стоны и бомбы.
Думать в такое время – глупо.
Слово вторжение уже запретили.
Цифры потерь россиян не существуют.
Плачущих ночью солдат упоминать негоже.
Трупы и дети-калеки – прочь из нашей речи,
прочь, леденящий ужас в метро и подвалах.
Есть у нас одна радость – слово смерть запретили,
смерть противозаконна в Расее.
© Нильс Хав / перевод Томаса Чепайтиса

GUERRA
La parola guerra è vietata in Russia,
per fortuna.
Parole come ansia, urla e bombe
devone essere bandite anche loro.
La cosa più stupida è pensare.
La parola invasione è già vietata.
I dati sulle vittime dell’esercito non esistono.
I soldati che piangono non devono essere menzionati.
Sono vietati i cadaveri e i bambini schiacciati,
l’orrore negli scantinati e nelle stazioni della metropolitana.
La parola morte per fortuna è proibita –
la morte è illegale in Russia

(trad. Marilyne Bertoncini

SAVAŞ
Rusya’da savaş kelimesi yasaklandı,
çok şükür.
Kaygı, çığlık ve bombalamak gibi sözcükler de
da yasaklanmalıdır.
En aptalca şey düşünmektir.
İstila sözcüğü zaten yasaklandı.
Ordunun kaybından söz etmek yasaktır.
Ağlayan askerlerin adı anılmamalıdır.
Sokaklarda ceset ve yaralı çocuklar aforoz edilmiş,
bodrumlar ve metro istasyonları dehşet içinde.
Neyse ki ölüm sözcüğü yasak –
Rusya’da ölmek yasadışıdır.
© Niels Hav
Türkçesi: Hüseyin Duygu

KRIEG
Das Wort Krieg ist in Russland verboten,
glücklicherweise.
Worte wie Angst, Schreie und Bomben
müssen auch verboten werden.
Das Dümmste ist: zu denken.
Das Wort Invasion ist schon verboten.
Die Opferzahlen der Armee existieren nicht.
Das Weinen der Soldaten darf man nicht erwähnen.
Leichen und zermalmte Kinder sind verboten,
das Grauen in Kellern und Metrostationen.
Das Wort Tod ist zum Glück verboten –
Tod ist in Russland illegal.
© Niels Hav
Übersetzung; der Autor mit Hilfe von Ron Winkler

WOJNA
Słowo wojna jest zakazane w Rosji
na szczęście.
Słów strach, krzyk i bomby
również należy zakazać.
Najgłupsze jest samo myślenie.
Słowo inwazja jest już zakazane.
Zakazane jest także wyliczanie strat wojska.
Nie wolno wspominać płaczących żołnierzy.
Ciała leżące na ulicach, zmiażdżone dzieci są napiętnowane,
tak jak przerażenie w piwnicach i na stacjach metra.
Na szczęście słowo śmierć jest zakazane –
śmierć jest nielegalna w Rosji.
© Niels Hav
przeł. Paweł Kaźmierczak
Uniwersytet Warszawsk

GUERRA
La palabra guerra está prohibida en Rusia,
afortunadamente.
Palabras como ansiedad, gritos y bombas
deberían estar también prohibidas.
La cosa más tonta es pensar.
La palabra invasión ya ha sido eliminada.
El número de las bajas del ejército no existe.
No hay que mencionar el llanto de los soldados.
Se eliminan los cadáveres y los niños masacrados,
y el horror de los sótanos y de las estaciones del subte.
Afortunadamente, la palabra muerte fue prohibida:
en Rusia morir es ilegal.
© Niels Hav – Traducido; Gerardo Lewin

RAT
Riječ rat je zabranjena u Rusiji,
srećom.
Riječi kao šo su strah, krikovi i bombe
takođe treba zabraniti.
Najgluplje je razmišljati.
Riječ invazija je već zabranjena.
Zabranjeno je navesti vojne gubitke.
Vojnici koji plaču ne smiju se spomenuti.
Leševi i osakaćena djeca su strogo zabranjeni.
Užas u podrumima i stanicama metroa.
Riječ smrt je srećom zabranjena

  • smrt je nezakonita u Rusiji.
    © Niels Hav
    Prevela sa danskog Milena Rudež

نیلس هاو

جەنگ

وشەی جەنگ لە ڕووسیا قەدەغەکراوە،
خۆشبەختانە.
هەروەها دەبێت وشەکانی وەک دڵەراوکێ و هاوار و بۆمب
قەدەغە بکرێن.

گێلترین شت ئەوەیە کە بیر بکەیتەوە.
وشەی داگیرکردن قەدەغەکراوە.
ژماردنی کوژراوانی سوپا قەدەغەیە.
نابێت ئاماژە بە گریانی سەربازەکان بکرێت.

دەستبەسەرکردنی تەرمی سەر شەقامەکان و منداڵە تێکشکێنراوەکان،
ترس لە ژێرزەمینەکان و وێستگەکانی میترۆدا
وشەی مردن خۆشبەختانە قەدەغەیە –
مردن لە ڕووسیا نایاساییە.

© نیلس هاو
وەرگێڕانی

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Regards croisés

Nulle libération

Seule l’agression 

Le mensonge à la bouche

Par l’acier, le feu 

Ils sont entrés.

Et du chaos naît le vide.

Le vide 

Voleur d’espoir

Voleur de liberté

Le vide cette tombe

Eteignant tous regards.

Paupières

De neige

Une fêlure 

Pour lumière.

Dans la brèche 

Et sans haine

Cernée, blême, 

La poussière

Pour larmes.

Le temps fait lieux

Là où vont nos pas

La terre est nôtre

Et de traces en sillons

Se creuse le voyage

S’engrange la distance

Ici s’éloigne le pays

Béatrice Pailler
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IMAGES DE PAIX

Je note en mon grimoire

Impressions du matin

Paix fleurissant aux arbres

Espoir à tout vent

Le poème murit

Sur la table de cuisine

Les fruits sommeillent

Sous l’odeur de café

Mes yeux embrumés tentent

D’éloigner les ténèbres

En cette demeure ancestrale

Mêmes gestes de quiétude

Depuis toujours

J’écris d’un œil complice

Images de paix à venir

J’entrevois une lueur

Toujours interminable

Comme Marco Polo

Explorant un nouveau monde

Pour que la paix survive

Se bâtir une chaumière

Portes et fenêtres ouvertes

Souffle humain

Se répandant en toutes choses

Où la parole devient poésie

©Claudine Bertrand
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Regarde-les : elles sont en marche

Une utopie est le germe d’un à-venir

regarde-les

elles sont en marche

je les vois

elles marchent

cela a commencé à Kiev

c’était une femme

elle marchait dans la rue

droit devant elle

au loin le grondement

des tirs de mortiers

dans ses pas une détermination

au début les gens la regardaient

passer

elle avançait 

au beau milieu de la rue

mais où va-t-elle

d’un pas si sûr

elle se dirige hors de la ville

bombardée

une femme la regarde

passer

elle a compris

elle pleure

se ressaisit

laisse tout en plan

se met en marche

elle aussi

rejoint la première femme

elles sont deux maintenant 

avancent 

d’un meilleur pas

la route à deux 

est un peu plus facile

à présent les gens s’arrêtent 

à leur passage

interloqués

regardent leurs visages

elles ont trouvé un rythme

imperturbables elles avancent

de  part et d’autre de la rue

des immeubles en feu

une troisième femme 

les  rejoint

elles avancent à trois

sur la rue désertée

leurs regards épousent

l’horizon

une jeune fille survient

se joint à elles

se sourient

les voilà quatre

sous les tirs de roquettes

un amie arrive

les voilà cinq

on parle d’elles

dans le quartier

un garçon vient

et puis sa mère

les voilà sept

on en parle bientôt 

dans toute la ville

les sept avancent

et à chaque pas

d’autres se joignent 

leur marche est un ruisseau

qui coule en pleine rue

et chaque personne qui vient

accroît ses eaux

se fait rivière humaine

hétéroclite

rivière de femmes

et d’enfants

d’autres rivières

se forment dans les rues

de la ville

s’écoulent

hors de la ville

encerclée

comme une étoile

à multiples rayons

rayons-rivières

rayons de femmes

et d’enfants

chaque rivière coule

vers le cercle de char

nombreuses

elles approchent des chars

les soldats en arme

les voient arriver

ne savent que faire

que croire

même les commandants

sont désemparés

bien sûr les ordres

sont clairs

prendre la ville

coûte que coûte

mais elles ne cessent d’arriver

des milliers de femmes

et d’enfants

devant les chars

devant les soldats

en arme

vont-ils tirer ?

elles avancent encore

plus près

se mettent à chanter

du bout des lèvres

et puis plus fort

leur chant s’adresse

aux soldats

elles connaissent leur langue

maternelle

pensez à vos mères

là-bas

à vos sœurs à vos enfants

là-bas

sont-ils différents de nous

pensez à vos mères à vos enfants

sont-ils différents

là-bas

et on apprend que de nouveaux ruisseaux de femmes

et d’enfants

s’écoulent 

dans tous le pays

vers tous les fronts

devant chaque char

devant chaque soldat

elles ne cessent de chanter

connaissent leur langue

maternelle

et puis alors affluent

des femmes à chaque frontière

de tous pays

convergent

en  rivières

elles sont myriades

venues de partout

mains nues fronts hauts

au cœur un rayonnement

un soldat s’est mis 

à pleurer

et puis un autre

les commandants sont perplexes

et puis l’un d’eux  lève

son bras

salue sans bruit

la foule de femmes

et d’enfants

puis se retourne

laisse ses armes

et s’en va

à pied

s’en retourne

là-bas

d’où il est venu

à pied

comme les femmes sont venues

à pied

les autres soldats se regardent

ils ont ordre de tirer

mais ils se lèvent 

aussi

abandonnent leurs chars 

et leurs mitrailleuses

et s’en vont

à pied

s’en retournent

là-bas

d’où ils sont venus

s’en retournent

tous

à pied

Rolf Doppenberg
.

Et la paix nous venait
des couleurs tendres
de la nuit pas encore là
et nos paroles
se confondaient avec l’ombre
en une flambée
de méditation

*

Ici arbres et statues
se font piliers de mémoire
veilleurs de vi
attelés à démêler le chaos

Anne-Lise Blanchard
.

on rêve de s’enrouler dans le blanc
du drapeau s’en vêtir devant les forces
en présence on pense que ça
protègera des bombes
on prononce le mot paix
mais consonne mal pesée
ne s’envole pas là où
elle devrait se laisse appesantir
retombe sur le mot mort 
plus que vif
le mot sonne comme un vent
plat à ras de terre paix soufflée
au mortier le mot défiguré
sous les décombres on trouve encore
le mot (t) rêve

Perle Vallens