.

3

Giancarlo Baroni & Marilyne Bertoncini, Eve de Laudec, Gabriel Grossi, Perle Vallens, Re Chab, Lo Moulis, Danielle Helme, Claire Légat, Fabien Maréchal.

.

.

Luci nel buio

Giancarlo Baroni / Marilyne Bertoncini

.

Giancarlo Baroni – Luci nel buio

.

Minuit au royaume électrique

la ville dessine en négatif

les vies d’un monde sans étoiles

.

Marilyne Bertoncini sur la photo de G. Baroni

.

Giancarlo Baroni, né à Parme en 1953.apublié huit recueils de vers et quelques petits volumes photographiques épuisés. Les derniers livres publiés : Come lucciole nel buio. Dieci riflessioni sulla vita e sulla letteratura et A occhi aperti sogno di essere un castoro. Alcune cose che posso dire di me (2020-2022); tous deux imprimés (2022 et 2023) par l’éditeur puntoacapo.

Marilyne Bertoncini, poète et traductrice. Auteur de 14 recueils personnels et de nombreuses traductions, ,de préfaces et d’articles critiques, a coordonné diverses anthologies. Ses derniers livres publiés sont Il Libro di Sabbia, Bertoni ed. 2022 et Damnatio Memoriae, Le Petit Véhicule (à paraître, mai 2023)

.

.

Eve de Laudec

.

La nuit tous les chats sont bleus

marine pour voguer

vers les récifs

les récits d’un autre monde où

patte velours sort les griffes

.

La nuit je suis chatte bleue

à planter mes ongles dans la lisière du jour

pour ne pas sombrer

je m’arc-boute

impuissante je suis aspirée

.

La nuits tous les chats sont noirs

aller au charbon dans la mine aiguisée qui

croque les spectres

au tréfonds de mon être

affole mes hantises

bouleverse mes peurs

ancestrales

exaspère les fantômes

épouvante ma chair

trifouille mes entrailles

brouillonne mon souffle

terrifie les chapitres de

mon sommeil

qui s’écrivent

inlassablement

sur de nouvelles terreurs

.

Chatte bleue du petit jour

hirsute

engluée d’angoissantes tentacules

survivante des enfers

j’accroche mon regard égaré

à la douce mésange

sur la branche du lilas

.

Eve de Laudec écrit dès l’enfance poésie, nouvelles, chansons. Parutions dans nombre de revues et anthologies, quatre recueils publiés : Crilence, Les petites pièces rapportées, Ainsi font, L’ingratitude des oiseaux à bec (éditions Chum et Jacques Flament).Un livre d’artiste, Des pas sur la terre, avec Ruiz.

.

.

Nuit

Gabriel Grossi

Dis, quelle est ta nuit ?
Quel est ton côté sombre ?
Qu’y a-t-il derrière ton regard ?
Quel est cela que tu ne montres pas ?
Qu’est-ce qui te grise
À l’heure indécise
Où les premiers néons grésillent ?
Où les premiers frissons frétillent ?
Où les lucioles scintillent ?

Eh, mignon, quelle est ta nuit,
Cette moitié-là de ta vie ?
À quoi rêves-tu dans ton sommeil ?
Qu’est-ce que tu imagines ?
Rêves-tu de brillantes merveilles ?
Ou de noirceurs qui te minent ?
Eh, mignon, quelle est ta nuit ?
.
Pourquoi faut-il que ça ait l’air glauque ?
Que ça se passe dans des lieux douteux
Avec des gens bizarres à la voix rauque
Un peu paumés, un peu défoncés,
Jeunes et pourtant déjà très vieux ?
.
Pourquoi faut-il que tu souffres
À l’endroit même où tu es censé jouir ?
Pourquoi ton plaisir est-il rarement
Simple et beau comme un franc sourire ?
Pourquoi faut-il qu’à côté, trop souvent,
Se trouve comme un gouffre ?
.
Eh, mignon, pourquoi ta nuit
Ne serait-elle pas douce ?
Pourquoi ne pourrait-elle pas
Simplement faire du bien ?
Pourquoi ne peux-tu pas
Baisser ta garde sans crainte
Et laisser faire la nuit ?
.
Crois-tu qu’il est possible
De jouir sans souffrir
Et sans faire souffrir ?
Tu y crois, à l’amour,
Hein, dis, tu y crois ?
.
Car alors tout serait différent,
Ce serait une toute autre nuit.
Ça arriverait, comme ça, sans prévenir,
Un souffle sur ta nuque,
Qui glisserait dans ton dos,
Dans le rire, dans le noir,
Dans un soupir, dans l’espoir,
Juste ici, ou bien là,
À l’endroit que tu sais, et que tu dis pas.
Et ce serait simple et léger, sans aucune menace,
Et ce serait beau et vrai, sans aucune trace
De pression, d’oppression, de soupçon, de poison,
Comme un songe sans mensonge,
Comme un jeu sans enjeu,
Comme une heure sans malheur,
La nuit au bout de tes doigts,
La nuit juste à cet endroit-là.
.
Dis-moi, mignon, si cette nuit est une utopie,
Eh, dis-moi, quelle est ta nuit ?

.

Né en 1987 à Nice, Gabriel Grossi vit et enseigne à Cagnes-sur-Mer, où il est professeur des écoles. Docteur ès lettres, chercheur associé au CTELA (Université de Nice), auteur d’une thèse sur la poésie de Jean-Michel Maulpoix, il publie régulièrement des articles critiques. Il fait partie de l’organisation du « festival Poët Poët » (06). Depuis 2015, il anime le blog Littérature Portes Ouvertes et son premier recueil, Concordance, est publié en novembre 2022.

.

.

Coma & 2 poèmes dits

Perle Vallens

.

Coma

.

On boit la nuit d’un trait
pour son effet placebo
son âme guérisseuse
sur la journée mal recousue
de ses plaies vives
ses lumières livides
que l’obscurité cautérise
.

La nuit en prise unique
contre l’heure souffreteuse
ses ecchymoses ses convulsions
ses nerfs à la dérive
on trouve un exfoliant
un élixir cicatriciel
un baume posé sur la peau du jour
.

la nuit ambulancière à la rescousse
nous perfuse du noir
à profusion en intraveineuse
le flux s’injecte une vague floue
d’une giclée l’extraction
se diffuse à la veine
la thérapeutique de l’oubli
. La nuit anxiolytique
en plongée radicale
on la prend comme remède
sous hypnose
sous anesthésie générale
le corps tombé dans son coma
un trou noir comme paysage
.

La Nuit, Oui & Nuit Pleine

.

(photo Perle Vallens)

.

.

Re Chab

.

Il n’y a qu’à voir

le noir rapporté,

de la terre,

de la nuit.

.

Pour un peu de clarté

je me suis efforcé

de coller une part de ciel

aller  chercher la pluie

.

Pour diluer un peu

le sépia et le noir

qui m’ont  fermé les yeux

sur la couleur de l’espoir.

.

Je t’ai devinée

de l’autre côté du papier

rendu translucide

à la lumière

.

au contre-jour

de mon errance

quand mes pas

passent à travers

.

déchirent le mur

de pierres

de la solitude 

quand je vais vers toi.

.

.

Lo Moulis

.

.

la nuit porte

des absents

un silence

au bord du souffle

la mémoire

me rince les yeux

.

dans le miroir

muette et pâle

elle s’agite

la beauté sous les paupières

de déluges secrets

la nuit se mouille

.

les amants contigus 

sur des péniches

que le vent emporte

les passages les refus

la nuit s’excuse

..

la vie palpite

frôle la soie

leurs mains légères

le parfum du moment

des battements

sous ta chemise

ne bouge plus

c’est magnifique

sous des feuilles d’or

la nuit se noie

.

Lo Moulis glane l’imprévu avec une préférence pour le furtif, ce qu’il cache d’incertitude et de silence. Elle écrit dans des carnets, sur des bouts de papier, parfois dans des recueils, des revues … Un travail issu de tout ce qui vient pendant l’errance, l’attente ou l’ennui, qui s’attarde sur les choses sans importance, et le ciel . « Je fais mon nid dans la lenteur du monde ».

.

.

Danielle Helme

.

.

Danielle Helme est autrice de poésie et de roman, elle vit à Montpellier.
Elle a publié une demi-douzaine de recueils de poésie. Dernière anthologie Voix Vives de Sète 2022, Ed. Bruno Doucey. Parmi ses ouvrages les plus récents : Le Radin, Roman, Ed. Amandier, (2015) ; Glossaire du ça, (2016), livre Oulipien, Ed. Du Jais ; Temps Modifié, poésie, Editions de l’Aigrette, (2021).

.

.

Nous nous sommes trompés de monde

Claire Légat

.

C’était dans la chambre chauve : au centre la simplicité du secours,
l’inexplicable bonté des ailes.
   J’ENTRE DANS LA SECONDE NUIT.
   Plus près de la vie, les jardins, les jardins en spirales m’ont désertée.
   Je le savais : chacun fait sauter les syllabes du doute et l’aventure
oscille, comme une grande fleur qu’aiguisent les secrets…
   Je suis l’horloge sans cadran, sans aiguilles, sans sursis d’amour.
   Ils sauront répandre l’absence, et les étoiles se coucheront mortes
sous l’averse.
   Geste pour geste, ils prendront sur eux de répondre aux choses, même
si les foules perdent leur sillage.

.

Claire Legat : °- carrière d’enseignante en Belgique °- a créé un cours d’expression corporelle avec ses élèves et réalisé en super 8 un film couleur de 30 m : LA CREATION DU MONDE °- attend la sortie en publication d’un recueil de poèmes : PROMENOIR DES DERACINES (Oxybia Editions)

.

.

Monsieur Luis

Fabien Maréchal

.

la banlieue assoupie

soleil écrans éteints

cornent en nocturnie

les chantiers du train

à la droiture des rails

l’éclair bleu du fer

soude couronne factice

souvent Luis la détaille

parfois il s’y perd

aimant d’un abysse

.

beugle la motrice

comme on appelle à l’air

toute l’équipe lui cède

le ballast se hérisse

seul Luis regarde en face

mains arrimées aux poches

le cyclope sagace

qui lentement s’approche

/

tant que le jour marteaupique

ronge labeur sur les os

Luis attend son crépuscule

pour en revêtir le drapeau

bleu de besogne gilet fluo

.

voici vingt et une heures

un pousse-café au bistrot

c’est le moment de te savoir

l’éphémère explorateur

de là où l’on ne voit pas

hors les axiomes du jour

arc à souder arme à soi :

des évasions obscures

Luis en a plein son carquois

/

aux équipes de nuit il se porte volontaire

pour les titans surgis aux longues parallèles

les gueules des torches crachent des éclairs

caressent bras potences et cheveux caténaires

.

Au loin un félin surveille l’aiguillage

tout va bien l’énigme est ton amie

murmure-t-il et le voilà soudain

au puits gris de son pelage évanoui

/

géant le fanal mugit

juste entre les voies

Luis avance d’un pas

à ce lampadaire inouï

il est papillon

de nuit à son emploi

il se sait plongeon

à l’ordre de l’aube

jette sa démission

.

là-haut un autre œil

peint jaune le convoi

la loco sans deuil

à la Lune aboie

.

cette lueur de ses rêves

entière Luis étreindra

il est ombre pour toujours

qu’il fait doux dans ses bras

.

Journaliste de profession et auteur par divagation, narrateur de lézardes et animateur d’ateliers d’écriture, j’ai publié Nouvelles à ne pas y croire (Dialogues, 2012), Dernier avis avant démolition (Antidata, 2016), Protection rapprochée (Lunatique, 2017), Plus personne pour aujourd’hui (Le Réalgar, 2022), ainsi que des poèmes et nouvelles dans une vingtaine d’ouvrages collectifs et revues. Et je nourris des hérissons dans mon jardin de Seine-Saint-Denis.

.