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Emanuela Rizzo (Italie), Marilyne Bertoncini, Patrick Joquel, Hussein Habasch (Kurdistan), Alix Lerman Enriquez, Max Mazzoli (Italie-GB), Carole Mesrobian, Marc Ross, Georges de Rivas

Quand la guerre est dans tous les esprits, qu’elle frappe nos frères si proches, dans cette Europe que nous imaginions éternellement pacifique après les tragiques guerres du 20ème siècle, il est difficile de trouver les mots qui soutiennent et qui pansent – d’offrir des mots d’accueil et d’espérance.
C’est ce à quoi nous nous appliquerons, en lien avec Emanuela Rizzo, qui invite les poètes à lui envoyer aussi, dans la langue qui est la leur, des vidéos de poèmes de paix pour son initiative #iostoacasaequestaseravileggounapoesia

Tressons nos mots, à l’image du X de la PaiX, pour les souffrances subies, et l’espérance à garder.
Les contributions pour une semaine de poésie sont à envoyer à jeudidesmots@gmail.com

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© Emanuela Rizzo

In punta di piedi,
tinta del rosso del sangue di chi sta soffrendo,
si affaccia la primavera
e implora la pace

Emanuela Rizzo

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les narcisses fleurissent, les violettes embaument le balcon,
la vie s écoule ici comme si de rien n’était –
et j ai le cœur si lourd…

Marilyne Bertoncini

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Mars 6

5.38 am

premier merle au noyer

un peu de jaune au noir de la nuit encore étale

quelques trilles

en écho

aux sons des bombes là-bas

je sais

facile d’écrire en écoutant un merle

et en buvant un sencha

est-ce que là-bas les merles appellent aussi la lumière
 ?

le jour

?

avec ses livreurs de journaux

ses fours de boulangeries chauds de pain frais

ou bien

est-ce que tout est frappé

stupeur à tous les étages

et peur

haine et désir de résister

?

un peu de jaune au noir des armes létales

en pluie haute parmi les rues des villes sans lumières

dans la nuit fracassée d’impacts et d’incendies

juste des mots-migrateurs

comme on tient dans ses mains parfois

une bougie solidaire à la flamme en prière

si peu

si rien

si présent

© Patrick Joquel

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Surviving Miraculously

I was too small.

I didn’t understand what was going on around me.

My only concern in life was the milk bottle

And the affectionate touch of my mother’s hand.

The adults were talking with worry

About planes and bombardments.

I didn’t understand what they meant,

But I flinched from time to time

From its strange sound.

Today, they bombed our home.

I found myself between the rubbles.

My face and body were covered in dust.

I was very frightened.

I cried, screamed, and called for help

Until they lifted me up.

I miraculously survived.

My mother kissed my left cheek,

My father kissed the right.

I felt fine,

But I was very tired.

I dozed off on my father’s forearm.

Immediately, I had a dream of the milk bottle

And of that affectionate touch of my mother’s hand.

Hussein Habasch/ KURDISTAN

Survivre par miracle

J’étais trop petit.

Je ne comprenais pas ce qui se passait autour de moi.

Ma seule préoccupation dans la vie était la bouteille de lait

Et le toucher affectueux de la main de ma mère.

Les adultes parlaient avec inquiétude
D’avions et de bombardements.

Je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire,

Mais je sursautais parfois

A cause du bruit étrange.

Aujourd’hui, ils ont bombardé la maison.

Je me suis retrouvé sous les décombres.
Mon visage et mon corps étaient couverts de poussière.

J’avais très peur.

J’ai pleuré, crié et appelé à l’aide

Jusqu’à ce qu’ils me soulèvent.

J’ai survécu par miracle.

Ma mère a embrassé ma joue gauche,

Mon père a embrassé la droite.

je me sentais bien,

Mais j’étais très fatigué.

Je me suis assoupi sur le bras de mon père.
Immédiatement, j’ai rêvé de la bouteille de lait

Et du toucher affectueux de la main de ma mère.

traduit par Marilyne Bertoncini

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Pax

Sur les ruines de guerre,

Sur les charniers de cendres et de décombres,

Se pose une colombe blonde, immaculée.

Le ciel est clair, en paix avec lui-même

Comme un premier matin du monde.

La mer n’est pas loin.

On l’entend susurrer à nos oreilles

Un conte oublié, une mélopée d’espoir

Qui ne dit pas son nom 

Alix Lerman Enriquez

Aujourd’hui la douleur est revenue attaquer le corps.

Les images sombres et lugubres s’épaississent

Et entrent brusquement sans frapper.

                         C’est une ville assiégée.

Les bois à la périphérie sont déjà en feu.

La rivière – autrefois paisible et régulière –

Est une écrasante force de destruction.

La crue a détruit les ponts.

Les digues ne tiendront pas.

Même attendre n’a plus de sens.

La fin est imminente.

                   Dans l’épilogue de cette tragédie,

Réapparaissent par éclairs des éléments de comédie.

                    Un rai de lumière résigné

Vous dit que tout avait un sens,

Un sens propre, parfois opaque,

Cela ne pouvait être qu’ainsi,

Pas d’alternative, ni de regrets,

Pas même un seul « si », les doutes mêmes se dissolvent,

Quand tout est accompli, y compris l’inconclu,

Tout ce qui reste à mi-chemin                 
A  conquis son intégralité

Max Mazzoli

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Derelinquens mundi

sur la dérobade barbare
des formes
flambent
à la fenêtre
un rideau flotte qui vacille
avec le paradis

et toujours cette ombrelle
curviligne  la vie
lisse et claire et frugale
rassemble ses essaims
de blond distinct de blé dans le feu des étables

notre monde est l’oiseau pris dans les plis du vent

Carole Mesrobian

Zoloti Vorota (Porte d’or)

Les luminaires du vestibule déversent des reflets mosaïqués

dans les profondeurs du métro Zoloti Vorota

Pas trop vite au goutte-à-goutte

Se préservant de l’éclaircie une ombre revancharde

fait escale de routine demande à qui l’entend 

quelle distance la sépare de la pâle lumière

Toutes deux s’enfoncent un peu plus dans les couloirs obscurs 

l’une que rien n’arrête pas même les cendres de la discorde

l’autre aux fulgurances lumineuses que tout pousse à la vie

Sans se prendre pour Saint Georges ou pour Michel Archange

et avant de voir l’oiseau le ciel complices de l’envol

Rendons grâce à la clarté et à chacun son libre-arbitre.

Marc Ross

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Paix Ukraine Russie

Ai-je vu le chiffre du néant, le sceau de l’effroi en ce brasier d’aurore

et Kiev assiégée monter aux cieux de Kitèje sur un charroi de neige ?

Il n’y aura peut-être pas de jours augustes pendant cet été caniculaire

hanté d’ogives nucléaires, torches vives aux desseins incendiaires !

Ai-je vu un paysan à sa charrue d’or rutilante saluer ce charroi de neige

maculée de sang tiré par des chevaux de feu emporter l’ Ukraine et Kiev

en exil vers la ville invisible de Kitèje où ne pleuvent plus de missiles ?

Ai-je vu sur l’autel céleste de la Paix, cachées sous la nuée des esprits

les mains jointes de deux peuples unis dans la ferveur d’une sainte prière?

Paix, paix sur les âmes-sœurs, de deux peuples slaves en terre de lumière

Qu’une salve de joie salue l’aube ou s’achève la guerre et rayonne la Paix !

Georges de Rivas