illustration d’après John Everett Millet

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Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau

Vous êtes sur les berges endormies de brume

Où les hautes herbes traversées de vent

ondulent leur caresse

Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé

Mon passé qui me regarde sans me voir

Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats

Le baiser qui s’approche et qui devient morsure

Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons

Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.

Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir

Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.

Bobine dévidée. Poitrine évidée. Sanglot du sang qui afflue… Pour rien.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.

Vertige.Tige de feu.Pensée morbide.Taire. Se taire.

Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.

Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.

Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.

Mais où est le cerveau ? Dissous.

Violence du refus muet. Dernier voyage.

Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

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Narki Nal :

Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu’elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire ! 

« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.
Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».

d’autres poèmes de Narki Nal sur Recours au poème et sur Nouveaux Délits, n. 70