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Marc-Henri Arfeux, Marilyne Bertoncini, Florence Dreux, Jüri Talvet, Yannick Resch, Colette Klein, Giancarlo Baroni, Marilyse Leroux, Jean-Claude Bourdet, Jacques Merceron

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Marc-Henri Arfeux

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Les trois légers voiliers de la bougie,

Navigation limpide,

Autant que le grand calme des étoiles

Formant lotus

A la surface de l’infini.

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Et maintenant, la nuit profonde

Ainsi qu’un fruit et son amande.

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Prosternation du chant

Dans la maison d’espace où s’accomplit

Le don des flammes icônes

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En expansion d’amour.

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La nuit unit la nuit.

Le lait nu de son âme

En arbre de ténèbres

Est un acte d’attente

Et de forme accordée,

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Essence de lampe émue,

Aussi profonde et ramifiée

Que la maison

Veillant à l’heure sans lien.

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Demeure, comme une promesse

Faîte à l’absence,

Le nom qu’on ne formule

Avant le premier signe d’un visage

Au bord le plus absent de l’aube.

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Nuit par immense,

Reviens porter le don

Sur l’eau de l’immobile,

Ouvrir, étendre et accomplir,

Offrir l’offrande au souffle entier,

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Ma sœur,

Avec le double de toute aube,

Consolation des sept orients,

Les doigts touchant cet invisible

Au nom de chant, de larmes et de beauté.

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Nuit rassemblée

Jusqu’aux plus fins rameaux de tes distances,

Recueille ma joue

Contre ta joue,

Qu’enfin s’oublient tous les ronciers de l’homme,

Qui n’ont que leur désert

Pour étancher l’abime.

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Marc-Henri Arfeux est né à Lyon le 24 février 1962. Docteur en lettres modernes, il enseigne la philosophie à Lyon. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans les domaines de la poésie, du récit et de l’essai. Il collabore régulièrement avec les revues Terre à Ciel et Rumeurs.  Il est également peintre et compositeur de musique électroacoustique.

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C’est de l’eau que naît la nuit

Marilyne Bertoncini

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photo mbp

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C’est de l’eau que naît la nuit

une eau trouble comme la tourbe

bitume moiré comme la mémoire

du monde

et lourde de toutes les peines

des hommes

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C’est de l’eau que naît la nuit

dans le miroir en reflets de mercure

d’un monde désolé

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La nuit lentement sèche ses ailes

qui frémissent

et lentement secouent l’eau qui s’égoutte

en plainte de ruisseau

plainte sans cause

sans mots

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le rauque chant de la nuit

pleure alors les étoiles

mortes

en brume grise sur les eaux

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et la nuit lentement déploie ses ailes immenses

et plane sur le monde qu’elle couvre d’effroi

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C’est de l’eau que naît la nuit

où tout retourne et se confond

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Florence Dreux

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Tu entres dans la nuit

tes paupières ont dépecé                  

le jour

trop cru

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Tu entres dans la nuit

du dedans

la vraie te terrorise

t’y promener tu ne peux pas

trop de loups

Quelle proie en toi perdue ?

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Tu entres dans la nuit

tu vois maintenant

l’éclat du noir

en toi

tu t’y réfugies

tu t’y loves

tu échappes à quoi ?

à qui ?

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Tu entres dans la nuit

pour te glisser

dans la peau

du rêve

il t’enveloppe

t’absorbe

parfois tu entends sa voix

La tienne ?

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Tu entres dans la nuit

comme tu entres en écriture

à nu

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Depuis les Landes où elle vit et enseigne, Florence Dreux partage ses poèmes dans des revues et anthologies, et poursuit son cheminement poétique ponctué de belles rencontres artistiques : elle vient d’achever un recueil (encore inédit) en collaboration avec l’artiste Claire Espanel.

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Jüri Talvet

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Ta tühjaks jääb nõnda tühjaks

see maja kui tuleb talv

ja lõunasse kandub tuules

luikede viimne parv

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Ta võtnud on oma sülle

päiksesirasse lumehang –

selle maja kus hing hinge hüüab

ööst öhe

kui on talv

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It grows so empty so empty

this house when winter begins

and the wind carries south

the last flock of swans

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A snowdrift has taken it in its lap

in the sun-glitter —

this house where a soul calls another soul

from night to night

now that it is winter

(English translation by H. L. Hix)

Elle devient si vide si vide

cette maison quand l’hiver commence

et le vent emporte vers le sud

la dernière volée de cygnes

Un grand amas de neige l’a prise dans son étreinte

sous le scintillement du soleil – 

cette maison où l’âme appelle l’âme

nuit après nuit,

maintenant que règne l’hiver 

(Traduction française: Athanase Vantchev de Thracy)

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JÜRI TALVET est né en 1945 à Pärnu (Estonie). Diplômé de l’Université de Tartu (1972) et docteur de l’Université de Leningrad (Saint-Pétersbourg) (1981), Il a publié en estonien vingt livres de poésie et des essais traduits en anglais, espagnol, français, italien, russe, roumain, serbe, japonais, catalan et grec. pour les recueils traduits en français.

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photo mbp

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Rêverie nocturne

Yannick Resch

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la nuit est venue

dans l’obscurité

de la chambre

promettre à tes yeux

sa  profondeur

apaisante

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plus de lumière

plus d’images

plus d’écran

le noir enfin

offert à

ton regard fatigué

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la nuit est venue

dans l’intimité

du silence

libérer ton esprit

des nouvelles

sombres du jour

et des mots

que tu n’as pas su

dire

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à l’abri  de ta

rêverie,

 tu dérives

préservée

du poids de penser

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vers une nuit étoilée

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Yannick Resch vit à Aix-en-Provence.  Autrice de plusieurs recueils de poésie  dont Ecrire la couleur du jour ( à paraître) et  d’essais biographiques sur  le poète Gaston Miron ainsi que sur Colette et Isadora Duncan–

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Giancarlo Baroni

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« Stupori serali » – photo Giancarlo Baroni

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photo Giancarlo Baroni

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Giancarlo Baroni, poète et photographe par passion, né et vivant à Parme….

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Colette Klein

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Nuit de chaux que la mort contamine.

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Quand le corps saisi bascule dans une étreinte inattendue avec le feu hivernal, projeté au bord de l’étoile, entre le vide et l’arbre, entre l’humus et la brûlure du soleil.

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Le temps lapide les ombres si fragiles à l’instant de leur fuite.

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Ne reste que ces grains de poussière que la mémoire emporte.

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Il est enfin temps de parler, devant le rideau de scène, là où la nuit seule peut répondre, pourtant cisaillée aux couteaux de la rampe. Alors qu’on ne sait si les spectateurs sont ou non partis. Alors que la peur s’est dissociée du corps et que les larmes donnent vie aux phrases. Il est temps de dire, de paraître, de crier. De modeler sous les mots la patience qu’il faut, de franchir les déserts, de traverser les murs, de rompre l’invisible sans trébucher contre l’oubli.

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Il est enfin temps de chanter.

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Une main qui se retire ne peut que se refermer sur un monde également clos, où ne fermentent plus les raisins ni les rires, où la nuit qui s’attarde au pied des arbres annonce l’imminence de la foudre.

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La mort, en plein désert, n’en continue pas moins d’effriter la lumière.

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Les eaux de la mort profitent des rêves pour pénétrer les chairs, à l’abri entre l’âme et le sang.

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Le moindre geste avive une douleur plus ancienne que la vie, et que même le cri ne peut dissoudre.

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Cette vie qui nous conduit de la nuit à la nuit et qui ne garde dans ses poings que le souvenir d’un monde qui étouffe.

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Les rêves ne sauvent que les hommes

qui se consacrent à la nuit,

au corps de la nuit démantibulé

par le souffle des fantômes.

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Ceux-là mêmes qui se nourrissent de la mandragore

et qui s’agenouillent en vain sous les étoiles.

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Colette Klein a publié16 livres de poésie dont le plus récent Le bleu selon C. Klein (Transignum 2023), des livres d’artistes, des documents et des nouvelles dont JE est un monstre (L’œil du Sphinx 2022). Elle a créé en 2008 Concerto pour marées et silence, revue (parution annuelle).

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Marilyse Leroux

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Il y a un cheval blanc

tout là-haut

qui retient le monde

entre ses sabots

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Les étoiles le suivent

comme une ombre

lorsqu’il vole sur les toits

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S’il ne répond pas

aux rêveurs de la nuit

c’est qu’il protège un secret.

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Marilyse Leroux, poète, auteur de nouvelles, de romans jeunesse, de textes fantaisistes a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages. Son dernier recueil Les mains bleues est paru aux éditions Rhubarbe.

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La Nuit entrevue

Jean-Claude Bourdet

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La nuit entrevue

Dans la fenêtre ouverte sur la nuit j’ai vu les lumières de la ville qui ne dort jamais

Par la fenêtre ouverte sur la nuit j’ai vu mon passé

Je me suis blotti contre le corps chaud de mon aimée

Sous la couette couleur de la nuit j’aurais du me rendormir me laisser aller

Mais mon esprit s’est envollé

Il est parti pour un voyage nocturne sur un vol inconnu

Mon corps immobile au chaud à moitié endormi

Mon esprit tout frais affolé des lumières de la nuit

J’ai exploré le ciel étoilé de mes souvenirs d’enfant

J’ai trainé du côté de la nostalgie d’une adolescence déprimée

de souvenir de désirs lointains

 j’ai tendu la main vers des amours délaissés

Je me suis retrouvé, une nuit d’août sur une plage joyeuse

Chacun de mes pas allumait un incendie sur le sable

Des étincelles caressaient les vagues phosphorescentes de l’océan qui semblait ronronner

Ivre de liberté j’ai aimé me souvenir de la légéreté de cette jeunesse qui s’est éloignée

Je me retrouve lové contre le corps endormi de l’aimée

Emporté dans le courant de ma pensée je sourit intérieurement au ciel d’août d’une nuit de mon passé

Sans plus de nostalgie je sais que le temps s’écoule alors j’ai emprunté les yeux d’un autre homme

J’ai emprunté le regard de celui qui est allé là haut, là haut dans le ciel que je regardais alors

Dans le ciel où on me disait qu’habitaient mes ailleuls

Avec son regard de photographe d’explorateur et de poète il a tourné son objectif vers notre terre si fragile précieuse pulsation de l’univers

Toi Thomas Pesquet poète céleste dans le grand vide interstellaire

Moi au chaud arrimé au corps d’un vaisseau terrestre dans une nuit bordelaise

J’ai croisé ton regard

Nous sommes nous rencontrés dans cette nuit de mai ?

Je ne le saurais jamais

Du ciel tu as vu s’allumer la terre fatiguée, un milliards de points jaunes ont éclairé la nuit du nord tandis que l’hémisphère sud restait obstinément dans le  noir

Moi allongé dans mon lit j’ai plongé dans mon passé à la vitesse de la lumière

Pris d’un vertige, en lutte pour ne pas sombrer, pas tout de suite, pas au moment ou l’inspiration c’est présentée

J’ai tenté de la retenir cette nuit

J’ai écrit ce poème pour toi, pour tous ceux que la grande nuit effraie, pour tous les poètes nocturnes

ceux qui retardent le moment où tout s’évanouhit où tout sombre dans l’oubli

ceux pour qui les lettres de lumière de leur Iphone ou de l’écran de leur appareil éclairent la nuit, éblouissent leur âme d’enfant

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11 mai 2023, 6h40

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Nuit irradiée

(Tombeau pour Pierre Soulages)

Jacques Merceron

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Invité d’honneur du Salon Noir

Toi qui fus logeur d’étoiles

À l’Auberge des temps très obscurs

Ton outrenoir s’enracine aux fusains

De la caverne des origines

En frère des Celtes Rutènes tu savais déjà

Sans doute que ta lumière émergerait

un jour

Du noir le plus noir

 .

Laboureur

À         brosse             brou

bitume             goudron

En larges traînées de tchernozium

Tu parfis l’Œuvre au noir

Tête de corbeau

Pontons secoués d’ailes de jais métallique

D’aigue-marines

Horizons fracturés traversés

De vibrations balafrées

De rémiges aux reflets d’obsidienne

 .

Tout à la fois

Charbonnier

et miroitier du regard

Tu fis briller

De tes râclages traversant

Des mers incendiées de lumière taciturne

Gemmologue

Tu fis surgir du noir des rougeoiements de grenats

De rubis de tourmalines

Tu dévoilas aussi

Tes grands pans citrins de calcite dorée

 .

Saturant le regard

Tu lanças tes dragues en eaux-fortes

Chargées de rouille de mouchetures

De croisillons injectés de gaufrages

De schistes satinés

De griffures de lumière*

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Passeur désormais

Installé à jamais dans le présent

Tu nous fais monter

Sur ta barque de trépas

Où tu allas jadis chercher dans cet arrière-pays

Cette noire lucidité des graines de lumière

 .

Plongeur invétéré

Éclusier de lumière

Tu offres un bain de jouvence au regard

 .

Tu invites toujours

À étreindre la ténèbre ardente

Pour passer dans l’Au-delà irradié

De la peinture

 .

27 octobre 2022

(*citation de Roland Barthes à propos du haïku)

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photo Giancarlo Baroni

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