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Diane Régimbald (Québec) – Mario Pelletier (Québec) – Pauline Michel (Québec) – Christine Durif-Bruckert – Ariel – Jean-Yves Guigot – Antoine Géniaut – Brigitte Besos – Laurence Paulmier – Gabriel Grossi.

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Diane Régimbald

Noire lumière

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Joins-toi lumière

au néant qui m’habite

sans toi

je ne verrais rien

je ne verrais pas

la douleur d’exister

je ne verrais pas

cette obscurité envahissante

            ce feu de cendres éteint

pourquoi crées-tu

cet espoir d’exister

lumière ?

tu me pousses vers ce gouffre profond

le noir t’habite

il embrasse tout

s’étend comme l’encre noire

de l’étang

qui crève les os

du silence

perce-moi lumière

remplie mes yeux

de lucioles

elles seules scintillent

dans la nuit du sombre

elles seules savent

voler et trouver en elles

l’attraction luminescente

là mes désirs pénètrent

l’étoile de quelques mots

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Diane Régimbald a publié onze livres de poésie au Québec et en France, notamment, Échographies à l’Atelier des Noyers en 2023 et Au plus clair de la lumière au Noroît en 2021. Elle est membre du Parlement des écrivaines francophones et de l’Académie des lettres du Québec.

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Mario Pelletier

Nocturne

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         Derrière l’opaque rideau de la matière,

des gardiens célestes se tiennent-ils

pour nous écouter, nous apaiser,

pour éteindre l’angoisse qui couve en sourdine,

la terreur des insondables profondeurs ?

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         Quel ange apaisera l’animale angoisse,

quel archange dédié, quel séraphin,

loin des sanglants barbelés des jours agoniques,

nous guidera hors du labyrinthe des souffrances,

         pour l’ultime traversée de la nuit ?

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         Dans les sous-sols irrités du cosmos,

un courroux gronde volcanique,

un orage peu à peu se ramasse,

bande ses muscles de foudre et d’ouragan,

pour éclater plus fort, plus explosif

que des pluies de missiles nucléaires

et cent mille trompettes d’apocalypse,

contre tout ce qui dénature,

contrefait, sabote, détruit,

toute cette déconstruction à l’œuvre,

millions de myriades de termites rongeurs 

sapant la fabrique millénaire du monde.

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         Mais quoi donc aujourd’hui m’a valu ce rêve ?

Quel pleur de nuit inassouvie,

quelles mâtines d’oiseaux ivres,

quel carillon des quatre horizons,

pour quelle fleur sous rosée ensevelie ?

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Et jusqu’où irais-je errer, somnambule

en dédales du songe, tout désir tendu

vers les flambées de splendeur entrevue ?

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Mon âme est un ciel dont je ne sais pas le fond.

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Pauline Michel

L’agonie des muses

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Muses-fées du passé

ligotées dans les limbes de ma peur

vous hurlez dans le huis-clos de ma conscience

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vous piétinez les traces de mes danses inachevées

grincez dans mes chants étouffés

brûlez vives dans mes pages incendiées

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Trop loin disparus

l’aura lumineuse des ardentes présences

les mains uniesdans la confiance sororale

la résurgence des azurs magnifiés

les hasards foudroyants des secrètes connivences

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Trop loin disparus

l’amalgame originel dela réalité avec l’Idéal qui l’a créée

l’inflexion nuancée des appels à l’oreille de l’Absolu

la furtive étincelle dans un regard attristé

la danse aérienne d’une ballerine sur les ruines dissonantes du chaos

la modulation des trilles des anges dans la cacophonie des guerres

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Rompues

les alliances du temps et des tendresses

par les arrêts de mort

Fantasmes assassinés

par la quête de la tyrannique beauté

obsédante

se mouvant

m’émouvant

sans cesse

sous mes paupières

ces trappes à souvenirs à mirages et à désirs

entrouvertes à chaque clignement des cils et des songes

avant de se fermer

éblouies mais aveuglées

par la vision glorifiée des autres et du monde

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Muses-fées

je vous salue

de mes limites apeurées

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Pauline Michel, Poète officiel du Parlement du Canada (2004-2006), romancière, dramaturge, scénariste, Auteure-compositrice-interprète, elle écrit des livres de chansons, des contes pour les enfants, des livres scolaires.. Elle a reçu plusieurs prix., elle a fait de nombreuses tournées de poèmes et chansons en France, au Canada et en Afrique.

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Christine Durif-Bruckert

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L’eau
Insaisissable et câline
Revenue des abimes
Et des fonds de gorge
Sans visage
Sans un mot
Et sans gêne
Elle va comme elle veut
Se perd

Disparaît dans les vents de neige
Sur les chemins obscurcis de la nuit

Se retire

Toujours là


Scintillante, tout près des yeux
Accrochée à mes lèvres

Souffle frais

Elle étreint l’invisible
Arrache au silence
Ses chants de passions
Liés par les vents
Partage le ciel
Et ouvre ses écritures.
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Elle tourne

Elle tourne


Autour de l’absence
Fait danser les ombres dans les traces des ombres
Contre les murs du temps
Et roule vers les bleus tendres
Bleu de mer et d’air
Au crépuscule de toutes les noirceurs.
Des avalements
Et du refuge des anges.

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Ariel

Prisonnier libéré

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Dans la partie la plus

Intime de mon âme

Je garde un secret effrayant

Parfois je rêve de disparaître

Souvent je voudrais mourir

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Le réveil, épreuve quotidienne,

Ne manque jamais à son rendez-vous de torture

Il pèse sur les plis de mon dos,

Affaibli par les échecs de cette vie sans merci

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Les ombres qui gardent

Mes heures de sommeil cauchemardesques

Se hâtent autour de moi

À six heures

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Se cachent dans ma tasse de café

Dans mon sac et mon ordi

Dans le plus profond

De ma poitrine esclavagée

*

Ce n’est qu’attrapé

Par la sagesse du jute

Dirigé par ses mains expertes

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Que je suis enfin libéré

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Ariel est poète, professeur, traducteur, il adore les mots et jouer avec. Fotocello est fruitier, photographe, adepte du shibari et amoureux de la beauté du monde, qu’il sait trouver partout où il va.

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Jean-Yves Guigot

La matière noire du poème

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         Ce qui advient en nous plonge ses veines dans le mystère. Un désir, une lumière vient nourrir l’âme, laissant le frottement du silex dans la crypte mystique. On la devine au-delà de son invisibilité, de son inaccessibilité, en cela que son énigme nous fait signe…

         Signe à déchiffrer pour qui sait le pénétrer et l’entendre.

         L’étrange suscite mais se prolonger le silence pour laisser s’écouler la parole à travers nous. Il semblerait que celle-ci ne vienne d’aucun lieu… Pourtant, l’antre présuppose le seuil.

         Il nous revient de nous en représenter les effets, de ce qui s’énonce à travers nous, la mélodie même menant dans l’essor de ce qui naît, dans ce vaste panorama jaillissant par-delà toute nuit. Depuis les plus lointaines origines se déverse – le don. Tant d’étoiles se mirent dans l’Étoile, miroir se déployant en écho dans la mémoire de la première tombe.

         C’est dès lors submergé que la plume s’écoule sur a page.

         Une submersion envahit la totalité de l’être dans l’élan de celui qui obéit à cet appel. Comment nommer la nature de cet appel de pure joie, de pure inconnue et de pure puissance nous prenant comme le ferait le raz-de-marée des confins ? Cette force ne peut guère que déborder immensément l’âme dont l’onde s’écoulant intensifie la présence au monde.

         L’amont d’une telle puissance énergétique et nourrissante est-elle sans âge et sans racine, sinon celle qui émane ?

         Le mystère, tel l’éclat, perdure dans les âmes silencieusement réceptives…

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Poète né en 1967, Jean-Yves Guigot est l’auteur de trois recueils (Par-delà le
Voile illuminé
, Les Veines du Réel, La Traversée du Silence) qui interrogent le
lien et le mystère de notre présence au monde.

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Antoine Geniaut

Avancer mais c’est mur souvent trop là

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Avancer mais c’est mur souvent trop là
il faudrait habiter un paysage
loin à la fois et une voix connue
une voix familière depuis l’ombre
résonnerait un sens à ta naissance
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c’est chaque fois l’envie de respirer
à pleins poumons tout en se suicidant
ça ne rime à rien ça ne mène à rien
en toi l’avenir prend la forme d’un
trou à taille humaine en pleine forêt

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Antoine Geniaut vit à Sète, et écrit de la poésie, des contes et des textes d’albums jeunesse. Il chante aussi, en s’accompagnant à la guitare acoustique, ses propres textes ou des mises en musique d’autres
poètes et poétesses, et réalise des collages. lien : https://antoine-geniaut.art/ (site en construction)

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Brigitte Besos

Vibration saphir

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Par tes yeux mystérieux

Venus du fond des nuits

Je respire l’ Instant de vie en continu…

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C’est un arpège qui dévoile

La chair intime des étoiles

C’est une brise à tire-d’ailes

Qui va et vient sur tous nos mails…

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Là-haut, sais-tu,

Dans ce non-lieu où songe la lumière

S’entend un Son unique et silencieux…

Dans ce haut-lieu vertigineux

Qui peut plonger dans l’ ici-bas,

De très grands arbres s’enracinent…

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Là, des fontaines d’eau pure percent l’Obscur

On y boit à jamais aux sources de saphir…

Un feu glacé y couve sous la flamme

Par-delà les désirs de l’homme et de la femme…

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Là-haut, en bas, dans le très-bas

Poussent des roses-fées sans mort sans épines…

Des lions bleus parlent sans fin au fond des cieux

Il est toujours Midi sans ombre

Cadran solaire des nuits sans nombre…

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Alors comment vivre sur terre

Tandis qu’on danse dans l’ éther

Sur d’invisibles ponts d’éclairs

Tout affranchis de la Matière ?

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Brigitte BESOS  Enseignante, conteuse , nouvelliste , poétesse…1er Prix à la Bourse de la Nouvelle 87 avec « La Mort Bleue » ed TdeT, «  Minuit » , nouvelle poétique Revue Résonance. «  Vibration Saphir » appartient à un triptyque poétique inédit : « La Source sous le Ciel »,évoquant un voyage intérieur sur les courbes sages du Souffle Vital….

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Laurence Paulmier

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Laurence Paulmier, scientifico-littéraire qui voit de la poésie dans une sinusoîde, qui mélange la chimie et l’alchimie à la beauté des mots. « J’écris mes humeurs et mes maux sous le pseudo Lau des Mots. »

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Gabriel Grossi

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— C’est là. Quelque part. Dans le fond. Dans le noir. Dans le tréfonds. Dans l’obscur. Dans la nuit. Au
profond du corps. Bien cadenassé. Soigneusement ligoté. Pour ne pas qu’il s’échappe. Surtout pas !
Cela doit rester dedans. Cela ne doit pas sortir. Cela voudrait sortir. Cela essaye sans cesse. Comme
une bête affamée. Comme un monstre enragé. Notre part d’inavouable. Notre matière noire. Notre
énergie sombre. Notre monde d’ombre. Notre secret.

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— Il arrivera un moment où tu ne pourras plus faire semblant. Cela se répandra comme une nuée
toxique, comme une lèpre maudite, comme un orage cosmique. Rien ne l’arrêtera. La matière noire se
déversera par tous les orifices, par tous les pores, par tous les interstices. Ô l’ouragan des mots !
Jouissance du verbe ! Explosion langagière !

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— Ça ne te fait pas peur ?

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— Trop tard pour se poser la question ! Ça y est, la machine est lancée, les vérins s’agitent, les moteurs
vrombissent, les clignotants s’affolent, les curseurs dégringolent ! Ça monte, ça progresse, ça va de
plus en plus vite ! — Je sens cette énergie noire, en moi, qui monte, qui circule dans mon sang, qui
agite mes tripes, qui prolifère dans mes viscères, qui affole mes hormones, qui bouscule mes cellules !
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— On n’écrit jamais qu’à l’encre noire. Puisant dans l’indicible du corps. Compte tenu de la mort.
Souvenons-nous, chers amis, que nous sommes mortels, nous ne sommes qu’en sursis, nous avons dès
notre naissance commencé notre lente dégradation vers la mort. La mort est la seule certitude. La mort
ne ment pas. Elle ne fournit pas de passe-droit ni de dérogation. Elle nous prend aléatoirement, jeunes
ou vieux à sa guise. Elle nous commande davantage qu’un chef, un patron ou même un roi.

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— Noire, cette pulsion de mort en nous, soigneusement corsetée, ligotée, cadenassée, contingentée,
comprimée, réprimée, repoussée, mais pourtant secrètement savourée, honteusement goûtée, sucée,
sucrée, léchée.

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— Encre, lait noir de la poésie. Pétrole iridescent de vapeurs soufrées, s’épandant en marée obscène.
Noir élixir. Souffle monstrueux. Voix du corps, puisant dans l’indicible l’énergie du poème. Geyser
noir du souffle. Nous écrivons sur un monceau de cadavres, sur le corps mort des poètes.

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— Nous écrivons de tout notre corps, de toute notre chair, de toute notre encre, et voici que nous nous
retrouvons vides, comme après une relation sans amour.

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— Tout cela a lieu dans l’obscur… dans les coulisses… dans le tréfonds… dans les cachots du Verbe…
dans le noir. Le poème s’écrit avec une énergie sombre, il naît de la matière noire des mots, et aussitôt
se consume. Sa mère est la mort et son père est le silence. Il pose une rime sur le chaos. Il est le prête-
nom de la mort, comme il est aussi le complice de l’amour. Son bleu vire au noir. Où est le poème ?
Est-il mort ? Noir.

Septembre 2023.

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Né en 1987 à Nice, Gabriel Grossi vit et enseigne à Cagnes-sur-Mer, où il est professeurdes écoles. Docteur ès lettres, chercheur associé au CTELA (Université de Nice), auteur d’une thèse sur la poésie de Jean-Michel Maulpoix, il publie des critiques, participe à l’organisation du « festival Poët Poët » (06). Depuis 2015, il anime le blog Littérature Portes Ouvertes. Son premier recueil, Concordance, est publié en novembre 2022.

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