.

6 Marc Baron, Christophe Pineau-Thierry, Jean-Luc Proulx, Eva Lianou-Petropoulou (trad. MB), CHEN Hsiu-chen (trad. Elizabeth Guyon-Spennato), Adriano Engelbrecht (trad. MB), Patrick Joquel, Héloïse Roquencourt, Mari Kashiwagi (interprétation MB – photos Marco Baschieri)

.

.

LES CONFIDENTS

Marc Baron

.

je ne demande qu’une faveur à la nuit

qu’elle me libère et me transporte

.

je veux la source de la connaissance

savoir pourquoi je suis à chercher toujours du

     côté de la plus haute incertitude

.

je vais sans repère et sans prétention

mais jamais je n’abdiquerai devant l’appel 

     incessant du sommeil

.

quelques mots fraternels sont mes confidents

ils savent mes doutes       ma force fragile

ils écrivent sur ma peau

ils sont en moi ils me blessent me guérissent 

me donnent l’ordre de creuser où je souffre

.

je descends toutes les marches de 

     l’intranquillité

.

Marc Baron, nuit du 10 au 11 mai 2023

.

Marc Baron, né en 1946 à Valence dans la Drôme, de parents agriculteurs. Études de philo, théologie et musique (orgue) Vit aujourd’hui à Fougères, en Bretagne.  Organiste, coureur à pied, adepte du street workout. Ses premiers poèmes paraissent dans la NRF en 1975. Dernier ouvrage paru: « Tu ne sais pas où tu vas, 101 poèmes dans la nuit »,  Le Taillis Pré, 2021.

.

.

Au cours de mes nuits

Christophe Pineau-Thierry

.

c’est au cours de mes nuits

que je vis avec toi chaque jour

.

je suis alors un caméléon

à la fois salamandre et moineau

.

la forêt ainsi que tous ses arbres

parfois un dieu ou un insecte 

.

car je suis tout comme toi

à la fois dans le tout et le rien

.

avec nos yeux embués d’amour

et nos silences soudains

.

la constance de nos cœurs

nos rires et aussi nos démons 

.

avec nos deux âmes réunies

qui ont décidé de s’aimer

.

en chacune de mes nuits

quand je rêve de nos jours

.

Christophe Pineau-Thierry est auteur de plusieurs recueils, dont Ces mots ajustés au cœur, co-écrit avec Philippe Leuckx (Editions du Cygne, 2023). Il publie également dans des revues (ARPA, Poésie première, Recours au poème…) ainsi que dans des recueils collectifs.

.

.

.

POÈME NOCTURNE

Jean-Luc Proulx

.

photo Jean-Luc Proulx

.

J’APPELLE NOCTURNE

la traversée du paysage

.

J’APPELLE NOCTURNE

les silences bleus des hautes ombres

.

J’APPELLE NOCTURNE

la parole posée sur ce qui sauve

.

J’APPELLE NOCTURNE

la lente montée vers la nuit étoilée

___

J’APPELLE NUIT

l’infini résolu.

.

Montréalais, Jean-Luc Proulx découvre la poésie en 2012 à laquelle il se consacre depuis. Suivront lectures publiques et publications en revues, de même que la parution d’un premier recueil aux Éditions du Cygne : L’autre est ta demeure. Pratique la peinture, la photographie.

.

.

Nuit

EVA Petropoulou Lianou

.

Qui a peur de ses pensées

durant la nuit noire?

Tout le monde.
.

La nuit,

est une scène de théâtre

Où chaque esprit

Peut se créer une vie secrète

.

On peut voir les étoiles

Faire des vœux

rêver et vivre dans ses rêves

.

La nuit,

est magique

en elle-même

tout y est possible

De petites fées entrées dans notre vie

Apportant la beauté

.

La nuit,

En contemplant la Lune

On peut s’interroger sur le monde futur

Regarder en arrière

Être en harmonie avec le présent

Inspirer

Expirer

.

On peut rendre l’impossible

Possible

Tant que dure

La nuit

.

Se voir

Comme on est vraiment

Apprécier le silence

La nuit peut être une amie

Pour un esprit créatif.

.

traduction Marilyne Bertoncini

.

EVA Petropoulou Lianou a reçu de nombreux prix pour sa poésie. Elle est auteur littéraire pour enfants. Elle a écrit plus de 15 livres.
Ses histoires et poèmes sont traduits dans plus de 10 langues.
Elle collabore avec Polisfreepres Magazine.Grèce. Elle est
Présidente de l’association Mil Mentes Por Mexico International, représentant la Grèce.

.

.

<Lanternes>

CHEN Hsiu-chen

.

〈燈籠〉

黃昏

天地逐漸失明

街道

吞完文明的塵囂

.

玻璃窗亮燈

紛紛橘黃

樓房變身巨人國燈籠

.

人性趨光

在燈下上演

一齣齣愛的連續劇

.

何時

你才會望見?

每夜每夜

我都為你點燃

自己

<Lanternes>

Tombée de la nuit

Peu à peu le monde perd la vue

La rue

A englouti le tumulte de la civilisation

.

Les fenêtres en verre s’allument

Une à une de lampes orangées

Les immeubles se transforment en gigantesques lanternes

.

Les humains recherchent la lumière

Sous les projecteurs se joue

Un feuilleton romantique

.

Quand

Vas-tu enfin regarder ?

Chaque nuit chaque nuit

C’est pour toi que j’allume

Tout mon être

.

traduction Elizabeth Guyon-Spennato

.

CHEN Hsiu-chen de nationalité taïwanaise est rédactrice du prestigieux magazine de poésie « Li poetry » à Taïwan, elle a publié onze recueils et participé à de nombreux festivals de poésie en Asie, Europe de l’Est, Afrique du Nord, Amérique centrale et Amérique du Sud. CHEN Hsiu-chen est lauréate du Prix Littéraire Naji Naaman (Liban, 2020).

.

.

Adriano Engelbrecht

.

l’annottarsi di mio corpo
accende la memoria dell’ossa

un’acuta sorveglianza
vigila l’attesa

lo stento delle parole
– il loro non allinearsi –
svalica l’ore

e la bocca s’incripta

l’anuiter de mon corps
active la mémoire des os

une vigilance aigüe
surveille l’attente

la peine des mots
– leur non-alignement –
franchit les heures

et la bouche s’inscrypte

.

trad. Marilyne Bertoncini

.

Adriano Engelbrecht est né en Allemagne en 1967 et vit et travaille à Parme. Poète, artiste, musicien et acteur (collaborateur du teatre de la Fondation Lenz), son travail interroge les liens entre ces arts – il a publié divers recueils dont le dernier en 2023, La Tramontanza, ed. Diabasis.

.

.

Cinq haikus nocturnes

Patrick Joquel

.

Levé dans la nuit

je joue tous les jours au jeu

de l’aube nouvelle

*

pas plus important

finalement qu’un moustique

j’écoute la nuit

*

guetteur de lumière

tant d’énergies à jouer

dans la nuit gratuite

*

Tu te rêves grand

tant d’autres vies t’ignorent

dans la nuit tu marches

*

Sans hésitation

il marche à travers la nuit

l’amateur d’aurore

.

.

.

Héloïse Roquencourt

.

Les avions ne veulent pas dormir cette nuit

Et leurs chants de charogne font tressaillir tous mes os

.

Je cherche un signe dans les craquelures qui brûlent —

Oui, j’ai jeté mes os dans le feu païen de la peur 

            derrière les yeux.

.

Je cherche le chemin d’herbes chaudes, des feuillages tendres

Mais les beaux cygnes sont pleins de pétrole

Des étoiles bouillonnantes et sifflantes

Dans la brume crasse du petit matin.

 .

Oh je meurs dans tant de cauchemars — 

Un géant marche à grands pas dans mon rêve

“Je t’observe depuis des jours” qu’il me dit 

—  Je souhaite un déluge derrière mes joues de lys

.

Les avions ne veulent pas mourir cette nuit

Et j’ai derrière les yeux une maladie

J’ai si peur de tout ce bruit

Des avions, de sa bouche d’ogre

De la nuit dans ses yeux de cercles bleus et noirs

Ses yeux qui ont soif, si soif de toutes mes cicatrices 

.

De mes mouvements de fragilité

De mon regard de torpeur

 .

Oui, je suis trop malade

avec mes nuits rouges et blanches

de globules infectieux 

C’est pour cela qu’on me tue toutes les nuits

 .

J’ai derrière mes yeux un bruit

Un infatigable bruit.

.

Biographie : Héloïse Roquencourt est une jeune poétesse et plasticienne, née en 2001 en Picardie, habitant à Nice. Elle est passée par des études d’histoire de l’art et d’archéologie (Ecole du Louvre). Elle travaille actuellement à un premier recueil de poésie.

.

.

photo Marco Baschieri

.

夜想曲―エリック・サティに捧げる五篇           柏木麻里

Nocturnes — cinq pieces pour Eric Satie

Mari Kashiwagi       

.

1.

置きさられた結晶のふしぎな明滅

緑だけでできている虹

虹はだれにもやさしかった

四の柱を捧げもつ六と六の台座

四の階段をどれだけのぼれば

羽根は背中にかえれるのでしょう

そしてまた四の階段を正直に

できるだけ正直に降りれば

そこには

雪がふるから

ゆびさきほどに小さな

四つの夢が

いま

おとなしい豆に還る

.



Scintillement mystérieux de cristaux délaissés

Un arc-en-ciel est tout en vert

Cet arc-en-ciel plaisait à tout le monde.

.

Deux fois six piedestaux à quatre piliers

Combien d’escaliers dois-je monter

Les ailes envolées doivent-elles revenir aux épaules ?

Puis à nouveau descendre l’escalier

Aussi vite que possible

Vers où

Il neige

.

Quatre rêves

Aussi petits que le bout des doigts

Maintenant

Redevenus dociles fèves

.

2.

Un sentier montagneux en lacets a lui aussi n’importe quand ses sentiments et ses désirs

Sous la lune qui brille tant

Doucement je recueille le fantôme des fleurs –

Gentianes, lys blancs, coquelicots, bleuets

Doucement le sol s’ouvre

Des graines aux pousses, des pousses aux fleurs

Loin au-dessus les nuages et la lune puis nuages et lune encore

S’il te plait, ne te souviens pas d’un rêve qui ressemble au printemps

Que le petit oiseau reste un petit oiseau

Sur terre

Un roc incandescent qu’ont découvert les animaux

Sent fondre sa colère

Magnanime ou pas ?

Lévite, comme une fleur, échappe-toi d’ici

Et la nuit qui se peigne comme une personne

Dans le sommeil des vivants

Est un cadeau de miel.

.

3.

Seul le clair de lune

Peut réveiller certaines fleurs

Une fois réveillées

les fleurs se dressent fièrement

même les plus jeunes

S’efforcent de se hisser au clair de lune

Chacune

Ouvre solennellement ses pétales en trois

Pour que six et six étamines se balancent au vent

Les pétales s’ouvrent encore et

Lancent le pollen plus haut encore

Pour instiller la lune

Le cœur chaud du nectar frais

Voyage depuis l’haleine des fleurs endormies

vers les cristaux du pollen

Le pollen congelé voyage

vite

Droit devant pousse le pin qui s’appelle

Futur

.

4.

Dans le sommeil l’intérieur est à l’extérieur de l’extérieur

Ou l’extérieur est à l’intérieur de l’intérieur

Un joyaux qui respire

La volonté du profond de la terre

Se reflète en grappes dans le ciel

La terre se fendille et la chenille d’un arc-en-ciel en sort en vacillant

alors

Etoiles et fontaines se polissent sans bruit

Du ciel, tombent des glaçons ou peut-être

D’épais flocons tentant consciencieusement

De s’unir à toutes les surfaces de la terre

Pour les brillants rayons des quatre étoiles les plus hautes

pPour les quatre sommets qui sont leurs époux

Pour que les couples restent unis à jamais

.

5.

Un champ de neige

Pourtant

La rivière scintille

La lune la surplombe

Toute prête à pleurer

La neige sur laquelle personne n’a marché

Essaie de se dissoudre comme lait

La lune tombe amoureuse de son reflet dans l’eau

La neige s’arrime à la neige

Outre le point de chute dans l’eau

Jaillissent des milliers d’éclats

A l’endroit où la lune se reflètait dans l’eau

Précédant l’astre ce soir

Je suis la lune chasseresse

La moitié gelée est ce que je sais

Mais qu’en est-il de l’autre moitié ?

L’étoile, enfant unique, monte au ciel

Forant un petit puits au coeur de la nuit.

interprétation : Marilyne Bertoncini

.

photo Marco Baschieri

.

Mari Kashiwagi est une poétesse et conservatrice d’art japonaise. Les poèmes de son troisième recueil de poésie Butterfly ont reçu le prix d’argent du prix international de la micro-poésie (2021) et le prix littéraire Naji Naaman (prix d’honneur, 2022). Ses poèmes ont été traduits en quinze langues. Extraits dans Recours au poème et la revue Phoenix.