.photo : Paolo Zanardi

Sous tes chaussures, les débris
d’une terre que tu ne peux nommer.
En étranger, tu foules la nouvelle
tu te demandes ce qui de toi encore,
peut être conservé, une reconnaissance
autre. Tu n’as rien trouvé.
Marco Bellini

Découvrir des mots-antennes,
les juxtaposer de façon à produire
de nouveaux courants;
Michel Leiris

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en attente d’échos (images, textes…) pour ultérieures migrations ! (propositions à envoyer à jeudidesmots@gmail.com)

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1 – drache, vie de chien, tintinnabuler, air, A-venTure/A-iguilloN/coNjecTure, parpadear, trouver de manque, madrugada/ (en écho : l’arrosoir/la rosoir), itou, moucharabieh, libellule (en écho : mouche et mouchette et un poème…), gantière (en écho : coquelicot), créponné/(en écho : la granita de Sicile), blanménil/(en écho : le treuil bellet de ma mère), Alphabet et bestiaire

2 – ensuquer, mimisses, querencia, sincer la place, Tatahouine, calbote, bagali, la tchatche, badjoc (en écho : tchanclette,tchalé, espargate, tonta) tanfo, a rimigna (en écho : chiendent, dio cane), effouche-pichons, grouler, nouba, survivance, parleyage, cacochyme (en écho : crincheux)… valcheputig et puttemoos…

3 – esquicher, vivre à la colle, Pétaouchnok, Perpette-les-olivettes, Perpette-les-oies, Trifouillis-les-oies, mandorle (en écho, une eau-forte), pougnac, graillire, abrazo, addirittura, combinazione, ratapanade (en écho : ratapignata et gobi), die schatulle (la cassette) (en écho : tralala), ketchup, ben tornato

4 – beauseigne, frichti, bourrier, dat, tàta/tàto, trefolir, trefoliment, trelutz, auba / alba,aubièra / l’albièra , aubièra / l’albièra… calabrun et jorn falit (en écho : la brune et calabrone), calouchette, casser les taraillettes, flache, bredin, arapède ou bernique (être comme…)

5 – Matémédeucheukal , palabres, varangue, chouïa; kaïros (et son écho), (se) mucher, Kyrrd (kyrrð), stokafitch (en écho, baccalà), tchoutchouka, mouna, soler, cuadra, madrugar (en écho : soler, et madruguer !), sem pas d’aqui, ossoko, Niagara, schusselig, schlecht, Palinarus, lull/luz, estèné,

6 – tcharafi, menuaille (en écho, le vide-grenier), javan mard, kefi, meraki (meraklis) …

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drache :

C’ est un mot qui arrache et auquel on s’attache quand on l’a vécu : dans le Nord, quand il drache, toute l’eau du ciel vous tombe sur la tête – le « couvercle bas et lourd qui pèse comme un couvercle » s’est écroulé, emportant tout, il vous reste à vous noyer dans le prochain canal, à moins de rester au chaud en attendant l’éclaircie, un livre dans les mains, à contempler le dense tissu de pluie qui nettoie le ciel comme on lave le carrelage à grande eau avec la serpillière, qu’on appelle « wassingue » en prononçant le wa à l’anglaise… la « ouassingue » est bien, à cause de son nom, la seule à pouvoir essorer le ciel – et la drache à définir ces pluies infinies où se noie tout espoir. (Marilyne Bertoncini)

ps – le dictionnaire m’indique qu’ il y a en allemand un verbe dreschen qui désigne le fait de battre le blé avec un fléau pour en extraire les grains qui retombent nombreux en pluie en faisant beaucoup de bruit. Il y aurait donc analogie entre ce bruit et celui de grosses gouttes d’une pluie drue.

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vie de chien :

Et elle se dit que son émigration, bien qu’imposée de l’extérieur, contre sa volonté, était peut-
être, à son insu, la meilleure issue de sa vie 
(Milan Kundera : L’Ignorance)

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La photo me tétanise,
m’exclut,
me met au rang des morts
Je pense à moi et défie l’objectif
J’avance vers lui
jusqu’à l’arrêt de mort
sur la rive où un pantin s’affole
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Il y a un grand vide
une absence d’espace
un sillon qui échappe
Il n’y a que le voyage
pour répondre à l’appel
du vrai voyage
qui opère par le regard
et des égards pour la pensée
inapte à se fixer
Va-et-vient
Vie de chien
(Daniel Leuwers)

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tintinnabuler :

une clochette, un grelot qui sonne d’un petit son aigu et cristallin tintinnabule – je ne sais pourquoi ce mot m’évoque les fines bulles blondes, fruitées et acidulées du champagne dans la flûte sur laquelle le nez est chatouillé comme par une plume : cette dernière sensation me fait penser qu’il s’agit d’une publicité vue dans l’enfance, époque où l’on hume le champagne à défaut de le boire.

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air :

 j’ai choisi un mot de ma langue natale : air.

L’air en bulgare est « въздух ». L’étymologie de ce mot vient du préfixe « въз », dont la signification est de sortir d’une surface, se diriger vers le haut, et le mot « дух », qui signifie âme, esprit. Ce mot n’indique pas seulement une substance gazeuse, il porte une connotation spirituelle très large, qui rejoint dans ce sens la philosophie bouddiste. 

Je joint le petit texte sans prétention, qui vient de me venir à l’esprit avec ce mot.

On renaît et on s’éteint

à chaque respiration

on accorde sa fréquence

aux battements du coeur de l’Univers

Dans la pulsation 

des inspirations et expirations

un papillon voltige

un âme s’envole – atome

dans la molécule de la vie

(Réni Koleva)

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A-venTure/A-iguilloN/coNjecTure :

Michel Leiris, Mots sans mémoire 
Ed. Gallimard 2007, p 89 – (proposé par Maria Mailat)

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Parpadear :

cligner des yeux, en espagnol.

Ce verbe que j’avais dû apprendre il y a longtemps a ressurgi en trouant d’un coup l’heureux bercement d’écouter, voilà quelques mois, une fameuse chanson du folklore mexicain : Malagueña salerosa. Le contraste entre le français et l’espagnol y est évident : à l’étroitesse des sonorités du verbe français (moins laid d’ailleurs à écrire qu’à prononcer) s’opposent l’étirement vibratile, le roulement allitératif, le tangage sur les vagues successives des trois « a »… Même un peu allongé en susbtantif, le clignement tel que le français le donne à entendre est  un mouvement nerveux, aussi incontrôlé qu’un tic ; el parpadeo palpite, il semble ne pas faire jouer que des paupières plissées, des pattes d’oie sur les tempes, mais se déployer jusqu’à de très longs cils, s’ouvrir et se refermer comme un éventail ou des ailes de papillon… Pourtant, malgré la tentation de la traduire par « palpiter », c’est bien « cligner » qu’il signifie, mais on dirait que ce même geste ne concerne pas les mêmes yeux, qu’il y a sous le rideau ouvert et refermé toute la profondeur d’un nocturne, l’étoile noire ou brune des prunelles méditerranéennes – et  ce qui me touche le plus au monde peut-être, la pluie de cils plus ou moins longs, d’autant plus visibles que sombres, ces buissons protégeant de leurs ronces, jusqu’au bord des joues, les deux lacs d’un regard comme vernissé de pluie…

L’admiration est l’une des clés de l’accueil. À préférer ici le mot étranger, je n’ai pas l’impression de trahir le français, mais de le voir plus précisément, et de pouvoir, à d’autres occasions, pour d’autres mots, préférer sa sonorité de violoncelle aux grandes orgues de l’espagnol. Mais je sais aussi ce qui m’a attiré vers le castillan, suffisamment pour réclamer de l’apprendre, en première langue dans un collège champenois, à une époque où la chose était fort rare : tout bon élève, qui plus est à l’est de la France, devait se mettre à l’allemand. La puissance des sonorités espagnoles, comme rassemblée dans la « jota » qui réclamait une rééducation de la gorge, me montrait une forme d’intensité possible, avec laquelle le français, plein de lettres muettes et de sonorités atones, devait rivaliser par d’autres moyens…

Mais il n’y a pas que les mots qui migrent. Si j’ai eu l’idée (jugée farfelue par les principaux de collège que mon père, soucieux d’accéder à mon souhait, rencontra tour à tour avant de trouver, en éducation prioritaire évidemment, le seul établissement offrant l’espagnol en première langue) d’apprendre l’espagnol, c’est aussi que nos soirées militantes étaient toutes vibrionnantes de la chaleur des voix et des musiques chiliennes, dans ces années soixante-dix d’après le coup d’État de Pinochet. Des exilés politiques, des réfugiés, mettaient du feu dans leurs concerts de solidarité, donnaient de la voix dans les manifestations, m’enveloppaient de ce lourd et beau tissu de phonèmes, capables de dire la toute-puissance de l’amour comme de la colère, la révolte comme la séduction. Un velours ruisselle, dans les mots de l’exil, qui regardent la nuit en face. Sans un clignement d’yeux. Ou comme le dit la Malagueña mexicaine : « Ni siquiera parpadear ».
(Olivier Barbarant)

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trouver de manque

Si le manque m’était conté …

         Les mots migrants m’entourent, mon « petit » exil me le rappelle chaque jour. Je ne parle pas toujours la langue des gens que je côtoie, et mon accent m’est souligné à chaque adresse. Le « vous n’êtes pas d’ici » désigne la fille de la Ville rose, étrangère, encore, dans la Ville blême.

Je me souviens…

         Depuis mon enfance, j’entends « je vais te trouver de manque » ou « elle / il va te trouver de manque », je l’utilise des années durant, et découvre loin de mon pays, que cette expression n’existe pas.  Me dit-on.

« C’est encore une expression de chez toi ! ». Piquée, je reste silencieuse.

« Je te trouve de manque », est cependant bien plus fort et bien plus beau que tu me manques, comme un coup au cœur, comme un bleu de douleur, un hématome long à guérir,  presque comme un « je me troue de manque ». Le sujet est celui qui souffre, il est aussi responsable que celui qui est absent.

Je me souviens…

         Une nuit d’été, dans les rues de Lyon, en compagnie de mon ami poète Olivier Barbarant, nous parlions poésie, mots, je me souviens  lui avoir appris cette expression qu’il méconnaissait- sans pourtant me dire qu’elle n’existait pas. Je me réassurai donc : ce « trouver de manque » n’existait que chez moi ! Combien de fois l’ai-je entendu dans la bouche de mes parents, de ma grand-mère ?  S’agissait-il donc d’une invention propre à ma famille ? d’une expression locale ? celle d’une autre langue ?

         Mercredi 28 Février 2024 : Olivier m’écrit aujourd’hui et me suggère de composer pour « Embarquement poétique », une rêverie sur ce « manque », qu’il s’agit d’un signe puisque cette expression il a apprise de moi… Un signe qui me fait plonger dans mon ordinateur où l’expression, comme confirmée, n’est pas référencée…puis dans mes vieux Littré achetés pour quelques euros, à un débarrasseur de maison de Moissac, quand j’en avais tant rêvé étant étudiante…

Quelle ne fut pas ma découverte !

Mes parents, ma grand-mère n’avaient pas inventé cette locution mais l’avaient conservée en héritage, cette dernière était utilisée au XVII° et au XVIII° siècles ! « Trouver de manque » dans les Confessions et Amour ! La langue de Pascal et de Rousseau fait écho à la mienne.

Voyageuse, elle était conservée dans la bouche familiale ; érudite, littéraire, elle devient.

Littré :

Trouver quelque chose de manque, le trouver de moins où il devrait être. « Rien ne se trouva de manque sur l’inventaire », Rousseau, Conf. II.

Il se dit aussi des personnes. « Quand on aime fortement, c’est toujours une nouveauté de voir la personne aimée ; après un moment d’absence, on la trouve de manque dans son cœur », Pascal, Amour.

         J’ai donc aujourd’hui, l’assurance de ne pas m’être trompée, pensant depuis des décennies avoir hérité d’une langue belle, imagée mais souvent défaillante. « Ce trait de localisme est en fait un voyage dans le temps »[1].

L’invitation de mon cher ami pour le Printemps des migrations, dénoue des années de suspicion, rebouche cette langue trouée d’un des manques.  

Je me souviens…

         D’une journée de lycée où j’avais invité Leila Sebbar, à la gare, ses bagages déposés dans ma « malle ». Elle me fait remarquer ce mot. « Pardonnez-moi, le coffre !», me disant qu’il vaut mieux utiliser ce terme. Elle s’agace et me dit de ne jamais demander pardon pour ma langue, elle souligne la beauté de ce mot perdu, quand la plupart dise coffre… Leila ajoute que sa mère utilisait « malle » elle aussi.

         Pourquoi avoir choisi cette formule « trouver de manque » alors que ma langue est parsemée de mots étranges, hérités et souvent inventés ? Sans nul doute parce qu’elle est celle qui fait mon écriture, une poésie du trou, pleine d’images pour colmater, bondonner et rafistoler les manques. A l’image de l’étymologie latine du mot « manque », je suis l’estropiée, la défaillante, la gauche, celle qui manque de, …

Partout, cette étrangère,

Partout, cette femme trouée,

celle qui écrit.

         Revendiquer la reconnaissance du manque est aussi une façon d’affirmer un avoir, d’entériner cet avoir. Des réponses se substituent au constat du manque, une promesse, un poème, un espoir donc, avec la consolation censée l’accompagner. Le manque est la manifestation du désir. Il est l’expression de l’énergie pulsionnelle. Il semble être, pour beaucoup, une notion péjorative, pourtant, il est une condition du désir.

Ma poésie est cette emprise sublimatoire sur cette « Chose » perdue…

(Nadia Gilard)

Merci à Olivier, d’avoir déclenché sans le savoir un des dénouements de ma langue et d’avoir lu ma poésie ;  à Leïla, de m’avoir permis de croire en ma langue et de me reconnaître dans mon exil.


[1] Olivier Barbarant.

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madrugada :

« MADRUGADA » désigne à la fois la nuit (« la una de la madrugada ») mais aussi ce que le français n’arrive pas à nommer: ce moment qui précède le lever du jour, tel « le petit matin ». « Aube » et « aurore  » existent déjà en espagnol (alba, aurora), mais alors, cette « Madrugada »? 

Et que dire du magnifique vers de la « Elegía » de Miguel Hernández, « temprano madrugó la madrugada », qu’il faudrait traduire par une périphrase comme « le jour est arrivé trop tôt »?

(Miguel Angel Real)

en écho

L’arrosoir

Elle disait l’arrosoir comme LA rosoir ma mère, c’était définitivement une ou la. Elle qui pourtant ne faisait pas une faute dans ses dictées. Donc la rosoir, sans entendre rosaire qui n’avait pas sa place.
Rosace peut-être pour la beauté des roses, mon amoureuse des fleurs. Arrosoir à rosée que boit le calice et qui chatouille les pieds. Rosée vespérale ou de la madrugada – Me revient : « Ciel rouge le matin, pluie en chemin ». Cette pluie dont j’arrosais le sable pour y verser la mer, avec l’entêtement confiant des enfants qui se savent aimés.
« Un arrosoir, une herse à l’abandon dans un champ, un chien au soleil, , un cimetière misérable, un infirme, une petite maison de paysans, tout cela peut devenir le réceptacle de mes révélations. » (Hugo von Hoffmanstahl, Lettre de Lord Chandos)
(Albertine Benedetto)

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Itou : 

Aussi-également-de même. 

Un mot venu de l’enfance, de la Normandie de pluie.

Ce mot évoque l’autre mystérieux qu’on accueille sans y avoir accès, l’être qu’on reconnaît malgré la distance.

Toi itou.

Tu sais les secrets jamais confiés. Tous.

Tu tais ta propre intensité pour laisser brûler la lumière. Toute.

Tu poses une main sur mon coeur, croque la brume des incertitudes. Toutes.

Toi itou. Moi itou.

Les mots que tes yeux, longtemps avant ta bouche, sème dans les miens.

Tu me tiens debout quand tout incite à perdre pied.

Je sens la langue râpeuse de ton amour lécher mes blessures.

Tu fonds dans mon souffle.

Moi itou. Toi itou.

Peu importe qu’on ne sache plus qui de toi est moi ou qui de moi est toi

L’important c’est le don. Me too.

Toi itou. Moi itou.

Le partage d’un silence

La générosité d’un instant

La réciprocité d’une émotion

Moi itou. Toi itou.

Communier au rythme de tout cela

des souvenirs d’enfance aux frémissements des morts.

Itou. 

Appartenir au grand tout

à l’ombre des mains qui recouvrent les nôtres

dans l’ignorance de ce que ça sera. 

Itou aussi 

le même et le pareil.

(Julie Nakache)

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moucharabieh :

nom masculin d’origine arabe   – balcon fermé par un grillage qui forme avant-corps devant une fenêtre ; toute cloison trouée destinée à voir sans être vu.

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libellule :

photo : Marie-Christine Masset

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en écho

Mouche et mouchette

Libellule et moucharabieh – cela sonne comme le titre d’une fable de Gianni Rodari, un binôme imaginatif : la mouche « arrabiée », arrabiata, fâchée – et  l’ailée libellule qui a autant d’ « el » dans son nom qu’il lui faut d’ailes pour soutenir son corps mince en forme d’épée, dans son vol en suspens au-dessus de l’eau.

Le Trésor de la langue française m’apprend que moucharabieh est un emprunt à l’arabe :  masrabīya «fenêtre grillée en bois, saillante au dehors» . Il me précise qu’on l’appelle ainsi parce qu’on y place les cruches poreuses [mas ‘raba] qui servent à rafraîchir l’eau par évaporation) .

Mais savez-vous qu’en vieux normand, la libellule s’appelle moûtchet ? petite mouche et mouche fâchée… décidément, c’est bien là le titre d’une fable !

(mb)

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sur la libellule

Avec ses ondulations de ballerine

ses entrechats qui froissent l’air

comme en sourdine

elle remonte parfois

exploratrice qui s’ignore

les lits frais des ruisseaux

les cours d’eau des rivières

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Orties et ronces esquivées

avec la grâce de mains de pianistes

sur le clavier des ombres

elle invente un chemin unique

qui se referme après elle

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Se riant des libelles

qui phonétiquement l’approchent

la libellule aérienne et gracile

respire soudain sur une ombelle

et au repos déploie ses ailes

Elle offre alors en lecture

et sans ambages d’invisibles pages

tournant chacune avec délicatesse

sans jamais le moindre froissement

.

Certains jours il arrive

que par transparence on y devine

les premières couleurs du monde

révélées aux vitraux de ses nervures

irisant comme à l’église

les œillades endimanchées

d’un soleil estival

qui exhibe la poussière

ignorée des demoiselles

(© J-M Bollinger)

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gantière :

La gantière

Dans le noir
De l’atelier
Les doigts en or
De grand-mère
Cousent
Décousent
Nuit et jour

Pour trois francs
Six sous
Les doigts s’usent
Sous le tissu

Dans le noir
De l’atelier
Le bruit des machines
Ecorche les oreilles
De grand-mère

  • Il est bien loin ce temps –

Cent ans passés
Ma main dans la tienne
Je te laisse me raconter ta vie

(Sandrine Davin)

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en écho

coquelicot :

les gants – douceur de la peau retournée sur les mains – me font toujours penser au pétale du coquelicot, comme un crépon de soie – mot qui faisait naïtre un poème déjà ancien sur le blog minotaura avec toutes les évocations analogiques auxquelles le mot-même me portait :

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La banalité du mot est-elle garante de son potentiel poétique ? coquelicot : création populaire onomatopéïque – invention, donc poésie pure d’un mot SANS racines savantes.
Homophonie :
calicot (tissu de Callicut – bande de tissu portant une inscription) – ceci fait-il du mot cible le symbole d’une qualité inférieure ?
Ceci serait relayé par la fleur sans calice : sépales caducs, mauvaise herbe – fleur sans calcul, banale, familière…

(coquelicot) Ponceau : du paon – nom botanique du pavot – désigne en chimie un colorant rouge vif très foncé ;

de pavot à Poppies – autre traduction au bruit charnel de baisers – lèvres humides : polpa, pulpe : propos et paroles – puppies, poupées

(Marilyne Bertoncini)

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créponné

Créponné !

Un mot qui résonnera comme la madeleine de Proust au palais des Pieds Noirs ! Un délice acidulé qui rafraîchit sous la chaleur torride d’Afrique du Nord. Il déroule sa blancheur dans la coupe, comme du papier crépon (c’est de là que lui vient son nom).

C’est une sorte de sorbet au citron… en mieux !

Vous pourrez en trouver la recette facilement : demandez-la à votre ami savant sur le net. Et alors à vous de jouer ! Vous m’en direz des nouvelles…
(Ghyslaine Elbe)

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en écho

granita de Sicile

la fraîcheur de la glace sur la langue dans la chaleur alanguie de l’été – voici un « créponné » léger comme une neige qui me rappelle la saveur découverte en Italie du citron de Sicile, dans le givre râpé de la granita : si finement moulu qu’il fond, imperceptible, juste porteur des molécules odorantes du citrus, éclatant comme un soleil à l’envers, un soleil de glace… la granita de Sicile – inimitable, parce qu’également investie de tout le miracle du souvenir qu’on rappelle avec le mot.

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blanménil


Dans ma bien lointaine jeunesse, vers l’âge de 7 / 8 ans, du temps où je faisais du cross (de la
course à pied), l’entraîneur nous dit un jour d’hiver quelque chose comme : « — Dimanche,
on va courir au blanménil ». Ce blanmémil me parut mystérieux, mais plus encore que le mot
isolé, ce fut ce groupe de mots « courir — au blanménil », dans lequel je pris « au blanménil »
en bloc, comme une manière spéciale de courir (peut-être comme on dirait faire une ‘course
au trésor’, une ‘course en sac’…).
Qu’était-ce donc que « courir au blanménil » ? Je ne posai pas de question, ne demandai pas
d’explication. Je restai jusqu’au dimanche en question avec ces mots en tête, mots à la fois
mystérieux, je le répète, mais aussi enchanteurs. Ce blan- était pour moi aussi étincelant que
la neige qui couvrait déjà les rues, aussi vif que l’air qui cinglait au visage. Et qu’était ce
ménil ?
Dimanche advint et je courus enfin, dans le froid ; il ne se passa rien de spécial, rien de plus
dans cette course que dans les autres, sinon la joie de courir. Après explication, j’appris que
j’avais tout simplement « couru au Blanc-Mesnil » en banlieue nord de Paris, mais loin d’être
déçu, c’est depuis ce temps que j’ai senti – intuitivement – la puissance d’évocation,
d’enchantement des mots, noms propres ou noms dits communs. Bref, la singulière charge
poétique du langage.
Avez-vous aussi un jour couru vers vos blancs hameaux ?
Savons-nous encore nous élancer
Dans cette course vers le blanc
Dans le froid et dans la joie
Épouser le fleuve des paroles gelées ?
(Jacques Merceron)

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en écho :

le treuil bellet

la course au blanménil me ramène en mémoire la déception qui fut mienne quand je découvris que le « treuil bellet » de ma mère n’avait rien du beau château (en raison du bellet) qui lui aurait appartenu (puisqu’elle disait « mon »), comme à une princesse exilée, la sorte de poupée qu’elle voulait tant être : elle parlait du paradis du treuil avec tant de nostalgie (malgré la guerre, l’éloignement, l’orphelinat qui précédaient, dans ses récits d’enfance), comme d’une parenthèse enchantée, que je fus doublement déçue (et vexée qu’on se moque de ma naïveté) lorsqu’on me montra sur la carte géographique, tout prosaïquement, un Montreuil-Bellay appartenant à tous ses habitants… Ce n’est que plus tard que j’ai pu l’associer au poète, et lui rendre la place magique qui lui revenait. (MB)

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Alphabet et Bestiaire

Alphabet & Bestiaire sont pour moi deux mots d’enfance, deux mots étroitement liés. L’univers des lettres et celui des bêtes me fut révélé par un livre magique. Pendant longtemps cet Alphabet des animaux, ce Bestiaire ne me quitta plus. Je dormais avec et dans mes rêves j’étais tour à tour cheval ou panthère devenant même un être hybride.

Langue mère

Alphabet murmuré lettre à lettre

Le doigt montre, le doigt raconte

Caressant l’image, caressant la bête

Amour lié.

Bien plus tard ma passion du Moyen-Age me fit découvrir les bestiaires de cette époque où réel et merveilleux s’interpénètrent… les animaux qui s’éteignent aujourd’hui n’auront à l’avenir que mots et images pour attester de leur existence passée. Ainsi rejoignant le merveilleux, ils continueront de peupler les rêves des enfants de demain.

(Béatrice Pailler)

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2

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ensuquer :

ce verbe est issu de l’occitan «ensucar» qui veut dire «assommer», (frapper sur la tête, à cause du radical « suc » qui en occitan désigne le sommet du crâne :

Ensuqué, je suis groggy, comme ivre, tellement épuisé que le cerveau au ralenti connecte mal les données – pire qu’une fatigue physique, le flou total des pensées, l’éblouissement du néant explosant sous le crâne et qu’il faut surmonter pour se réveiller, retrouver le fil des pensées. Je ne connais rien de pire que d’être ensuqué, quelle qu’en soit la cause – trop de soleil, la canicule, l’excès de tranquillisant… vivement le réveil lucide !

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mimisses :

amas de poussière duveteux c’est le mot que j’utilise, c’est la seule référence que j’ai pu trouvé
je n’en garantis pas l’orthographe.

Lorsque je redeviendrai poussière
dès que le plumeau le balai l’aspirateur
auront tourné le dos
silencieux et sournois
je me glisserai
derrière la porte
sous le lit
et dans chaque recoin
libre enfin
après tant d’années où il fallait que rien ne dépasse
de mettre un peu de désordre
j’aurai la détermination tranquille
des mimisses qui s’immiscent partout

(Pierre Rosin)

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en écho

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Querencia :

J’ai découvert le mot « querencia » en lisant QUERENCIA et autres lieux sûrs de Pierre Veilletet en 1991. « En espagnol, la querencia nomme l’attachement, la dilection… », écrit-il. Le dictionnaire de l’Académie royale espagnole évoque une tendance des individus et de certains animaux à revenir sur les lieux où ils sont nés et ont grandi. Et le mot est lié au verbe querer qui signifie aussi bien vouloir qu’aimer. De la volonté à l’amour et inversement ! Que de déplis à entretenir tout le long de la vie, dans le partage.

Une querencia n’est pas une porte fermée sur un lieu clos. Par exemple, je ne m’imagine pas manger seul une andouillette-frites ou garder pour moi les lectures qui m’enchantent. Ce que j’aime, j’ai la volonté de l’offrir. « Les querencias sont aussi des mots de passe », ajoute Pierre Veilletet. Tantôt on les donne, tantôt on les reçoit. Dans la simplicité de l’ordinaire. Et c’est ainsi que le séjour de la vie s’apaise, loin des mauvais spectres du monde et des barricades imaginaires.

(Dominique Boudou)

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Sincer la place :

Dans mon pays nantais, j’ai souvent entendu, notamment de ma grand-mère paternelle, l’expression «sincer la place». «Sincer» signifiant passer le serpillière, la serpillière étant «la since» ; et «la place» étant la pièce, l’endroit à laver.  
Cette expression, pourtant, ne figure pas dans «N’en v’la t’i’ des rapiamus!» : Patois du pays nantais (Georges Vivant, Éditions Reflets du passé, 1980) ni dans Les Locutions nantaises de Paul Eudel (1884, réédition 2006). 

Par contre, dans  le Littré Le Vocabulaire du français des provinces (2007), on trouve :
– CINSE ou SINCE, n. f. 
OUEST. Serpillière. Laver la place en passant la cince. ÉTYM. Anc. Fr. cince, chiffon, du lat. cinctium, morceau d’étoffe.
– CINSER ou SINCER, v. tr. 
OUEST. Laver avec une cince «Celle-ci préféra ne pas franchir le seuil de la cuisine, craignant de salir le carrelage que Delphine, ce matin-là, avait cincé deux fois», J. HUGUET.
ÉTYM. fr. région. cince.

Il semble également qu’on trouve « »Sincer la place » (passer la serpillière» dans Comme on dit chez nous : Le Grand Livre du français de nos régions (Mathieu Avanzi, avec la complicité d’Alain Rey et d’Aurore Vicenti, Éditions Le Robert, 2020).

(Bernard Bretonnière)

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Tatahouine :

Aller à Tatahouine , c’est aller vraiment très loin, vers une destination lointaine et inconnue, c’est un bled, un pays perdu, d’où l’on ne revient pas, une sorte de trifouillis-les-oies car les oies ça migrent aussi comme les mots !!
En réalité, Tatahouine, c’est un vrai village en Tunisie et même un bagne d’où l’on ne revenait pas…
Pour moi, dans l’enfance, quand j’entendais ce mot à Tatahouine, cela me faisait rêver, je désirais tant aller là-bas dans ce lieu magique  que j’imaginais, peuplé de Tatas très rieuses , qui dansaient dans le vent sur de grands cerfs-volants, des Tatas très joyeuses qui riaient aux éclats au milieu de coquelicots rouge sang et de tam-tams charmants… !   
(Brigitte Besos)
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calbote :

une petite gifle, vient de l’italien un colpetto, une petite tape ; mais là-bas, en Afrique du Nord, c’était vraiment une grosse baffe, on disait même « prendre à la calbote »,  c’était une bagarre sérieuse, une barufa, où l’on se donnait des botchas et des cocas. Pour moi enfant qui avais beaucoup d’imagination, une calbote, c’était une sacrée tannée qui faisait un bruit de bottes en caoutchouc et transformait les joues de quelqu’un en babines de chien enragé, style bouledogue…. !
(Brigitte Besos)

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bagali

Concrètement c’est un mélange de boue et de terre. En fait « faire du Bagali », c’est salir, saloper un parterre qui a été bien astiqué.
Dans mon esprit, c’était un ogre géant aux grands pieds noirs très sales qui ne savait pas marcher sur la pointe des pieds pour  se faire oublier quand il passait dans un ménage bien fait. C’était d’autant plus vrai, qu’on me disait que j’étais une petite fille pied-noir ?  Est-ce à dire que j’étais la championne du bagali comme tous les enfants, et que je devais cacher mes pieds noirs sous la plante de mes pieds… ?
(Brigitte Besos)

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la tchache :

C’est la parole, cela vient de l’espagnol chacharear : bavarder, Avoir de la Tchatche ou tchatcher, c’est être très bavard.
Petite fille, on me disait que j’avais beaucoup de tchatche et de baratin, moi j’étais très vexée, car je croyais que la tchatche était une barbe qui me poussait au menton, parce que je parlais trop, ma confusion augmentait quand pour m’expliquer, on disait que j’avais du «  bagou » ! Je parle toujours beaucoup et la barbe n’a pas poussé, sauf un brin de sagesse parfois.
(Brigitte Besos)

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badjoc :

heureusement, au milieu de tous ces mots qui migrent, je ne suis pas devenue badjoc ( du catalan bajoc : un peu fou), maboul quoi !, mais je sais depuis l’enfance que ceux qui sont « badjoc » sont un peu fêlés, comme possédés par un djinn, un mistigri ou un joker des cartes à jouer ! Mais ça c’est un mot qui a migré dans ma caboche !  
(Brigitte Besos)

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en écho

tchanclette, tchalé, espargate, tonta 

Ont déjà été proposés la calbote, le bagali et le créponné. Le créponné, un merveilleux sorbet au citron que, lycéenne, je dégustais quand j’avais assez d’argent de poche le jeudi après-midi place des Victoires à Oran, je l’ai retrouvé à l’identique de même que l’agua limon au bas de la rue Gambetta à Nice il y a quelques décennies. Existe-t-il encore en ce lieu, je ne sais pas.

Enfant, j’ai peu fait de bagali, car pour faire du bagali il fallait de l’eau et mon village, Saint Denis du Sig était la patrie du sec et de la poussière. Je n’ai pas pris non plus de calbotes, quand ma mère était en colère après moi, elle me poursuivait en boitant, une tchanclette à la main, on assimile, aujourd’hui où ce mot est passé dans le français courant, la tchanclette à la tong, aussi appelée, à la Réunion où je vis aujourd’hui, sandale deux doigts, mais les tchanclettes de ma mère étaient des pantoufles à petit talon qu’elle portait à la maison et qui n’ayant pas de brides retenant le talon faisaient « tchac, tchac » quand elle marchait et annonçaient sa venue. Dois-je préciser que si je n’ai pas pris de calbotes, je n’ai pas pris non plus de coup de tchanclettes, ma mère s’étant toujours contentée de me menacer.

Que de « tch » dans ce sabir de l’enfance ! la tchache a fait carrière, tout le monde tchache en France aujourd’hui mais ni moi, ni personne autour de moi n’est plus « tchalé » par un spectacle ou une nouvelle, on est « estomaqué » oui, mais pas plus. Les « és » aussi étaient foison, mais pas trop dans ma famille qui se voulait à 100 % française. Nous étions choqués que nos voisins disent par exemple : « j’ai eu peur au cinéma quand un es-squelette est apparu » ou « j’ai mis un bouquet devant l’es-statue du saint à l’église », mais à la maison si ma mère portait des tchanclettes moi c’était plutôt des « espargates » à la semelle de corde.

J’ai beaucoup ri en lisant la note de bas de page (p 58 Correspondance Camus-Maria Casarès) sensée être la traduction du « que cara de tonta tienes hoy ! » utilisé par le père de Maria Casarès pour nommer l’état de sa fille, ce jour-là, à la réception d’une lettre de Camus, état qu’elle définit comme « béatitude proche du gâtisme » et que son père, d’après son traducteur, se contenterait de trouver « ridicule » (« Que tu es ridicule aujourd’hui ! »). Je comprends bien peu l’espagnol mais dans la langue de mon enfance avoir une « cara de tonta » était sans équivoque, et même si c’était toujours dit avec le sourire, on comprenait parfaitement qu’on avait une tête de folle, d’idiote du village ou d’imbécile et qu’il valait mieux fermer la bouche et se composer un visage un peu moins expressif. Ma mère utilisait assez peu « tonta »  mais préférait utiliser tout un bestiaire : elle me traitait au pire de « tête de bourrique » ou de mule et me disait que je la faisais devenir chèvre. Je riais de tout cela (elle aussi d’ailleurs) et me faisait un seul reproche, contrairement à ma sœur, je me sauvais quand on voulait me faire un câlin ou une bise et donc quand ma mère parlait de moi à ses amies elle me traitait de vrai porc-épic !

(Marie-Paule Farina)

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tanfo :

Tanfo– c’est en italien un « odoraccio » (quel dommage qu’on n’utilise pas davantage en français ce suffixe péjoratif qui demeure dans des mots comme « bravache » (bravaccio – faux brave) ou dans les dérivés « fadasse, blondasse, vinasse… »

L’odoraccio, on l’a compris, ce n’est pas une bonne odeur, une senteur, un parfum, un arôme – non, tout le contraire ! Une Odorasse !

Et le tanfo est une catégorie particulière de remugle, relents, odeur de renfermé, de moisi, puanteur de vieille maison qui vous prend à la gorge, entre poussière et saleté, peaux mortes et sueur séchée de vestiaires sportifs et de lieux clos, mal ventilés – on ouvre vite la fenêtre pour chasser le tanfo qui claque comme un coup de fouet !

D’où vient ce mot, que j’emploie de préférence à ses équivalents français, bien moins explicites d’un point de vue sonore? Le dictionnaire que je consulte propose plusieurs hypothèses migratoires : un mot germanique passant par le lombard (dampf, tampf vapeur, exhalaison) ; du grec, typhos (fumée, vapeur) ; un dérivé du verbe tappare (fermer hermétiquement)…

(Marilyne Bertoncini)

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a rimigna   :

– Mais tu es partout ! Una vera rimigna !
– une « rimigna »?
– A rimigna = le chiendent. Une plante qui pousse partout et qui est difficile à éliminer…C’est une expression ultra employée même si, aujourd’hui beaucoup ne savent plus de quoi il s’agit exactement…
– C’est l’erba gramigna, je crois connaître, en italien! j adore être de la mauvaise herbe!!!
– Anch’eiu….!
(Norbert Paganelli)

en écho

Le chiendent

enfant, j’aidais mon grand-père à débarrasser les plantations potagères du chiendent, cette mauvaise herbe envahissante qu’on dit « adventice » des cultures désormais, et dont le rhizome couleur d’ivoire semble formé de minuscules petits crocs, fort jolis au demeurant (comme une sorte de légère dentelle au crochet) et in-des-truc-tibles, donc néfastes aux racines fragiles des légumes qu’ils enserrent et étouffent dans leurs griffes !

Le Chiendent – Elymus repentus dans les livres de botanique, a gardé dans la langue vernaculaire l’ordre des mots – cani dente – du latin médiéval d’origine. Cette herbe (aux vertus médicinales reconnues et aux racines létales pour la végétation)  a été chantée par René Char  dans les Feuillets d’Hypnos (rédigés en 1943 et 44) : « Le temps n’est plus secondé par les horloges dont les aiguilles s’entre-dévorent aujourd’hui sur le cadran de l’homme.
Le temps, c’est du chiendent, et l’homme deviendra du sperme de chiendent »
On le trouve aussi chez Raymond Queneau, en titre de son premier roman, publié en 1933, où passent, se croisent des silhouettes d’anonymes misérables, aux talons  éculés comme leur vie, soumis à la dure et résistante loi des catastrophes qui les réunit, et dont le titre est l’emblème, car « Quelle image pourrait mieux dire cette perpétuité du mal et du malheur que celle du chiendent, cette mauvaise herbe proliférante, aux racines si vivaces et si ramifiées que, quand on croit les avoir toutes extirpées, il en reste assez pour réenvahir l’espace nettoyé ? Faisant partie de notre réalité la plus familière, elle peut suggérer avec une incomparable simplicité l’angoissante et insoluble question de savoir si un désir de nuire n’est pas inscrit dans la nature de l’homme »(Henri Godard, préface du roman)

Chiendent,
chienne de vie…

Dio cane !

( cette « bestemmia », juron blasphématoire qui a perdu beaucoup de son sens d’origine, comme nos tudieu et sacrebleu,  est encore fort répandue dans certaines régions d’Italie, et indéniablement plus puissante que « nom d’un chien », tout en étant à l’image d’un monde qui s’acharne à aller mal, à faire du mal !)

Marilyne Bertoncini

                                                               

effouche-pichons :

Ce mot très amusant, très parlant, est hérité du gallo, une langue d’oïl parlée en Haute-Bretagne.
Dans mon enfance, c’était une grande affaire de créer au jardin un effouche-pichons pour éloigner les petits oiseaux. Un morceau de bois ficelé en croix et hop, on pouvait l’habiller. Affublé d’oripeaux colorés et d’un vieux chapeau de paille, il trônait fièrement dans son carré, prêt à en découdre avec la gent volatile.
En apercevoir un au milieu d’un champ, d’un potager, le comparer au nôtre, lui donner un nom, aussi improbable que son accoutrement, était un plaisir de choix.
On ne voit plus aujourd’hui dans la campagne d’effouche-pichons, sauf à Questembert, un village du Morbihan qui a créé pour son festival d’été un concours à succès, où chacun peut laisser libre cours à sa fantaisie.
Il y a quelques années, lassée de ne rien récolter, j’ai accroché de vieux CD aux branches de mes fruitiers. C’était joli, tous ces reflets irisés. Hypnotique. Les oiseaux ont été du même avis ! Aujourd’hui ils sont les rois de mon jardin : ils becquètent tout ce qu’ils veulent, ils ont leurs mangeoires à demeure, leurs ravitaillements réguliers, leurs baignoires d’eau propre, leurs nids bien cachés. L’an dernier, ils m’ont même laissé faire des confitures de pêches. Venez, venez, mes petits zailés, vous êtes les meilleurs insecticides qui soient. Si jolis, si touchants dans vos petits manèges effarouchés. En plus, si vous vous blessez, ici, vous serez sauvés.
Donc, en un mot comme en cent (autre expression familiale), qu’on ne s’avise pas d’effoucher mes pichons ou je me déguise en épouvantail !

(Marilyse Leroux)

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grouler

Ca groule… vous avez dans l’oreille le grognement d’un chien qui gronde ? ce bruit sourd d’écroulement d’avalanche, de torrent en crue emportant tout sur son passage ? Le grondement de Cerbère pour qui voudrait pénétrer aux Enfers… Vous l’entendez ? 

C’est lui qu’évoque le verbe grouler dans le lexique de mon enfance – le terme vient du wallon, apparemment, comme une partie de ma famille, et il évoque parfaitement ce ronflement, rauque et guttural, ce bruit de grotte, dans laquelle le moindre bruit vrombit, et roule contre la voûte en échos caverneux. Bref, grouler n’a pas d’équivalent pour désigner, selon moi, ce brondissement particulier : c’est pourquoi il désigne aussi fort justement les borborygmes : ventre affamé n’a pas d’oreilles ? peut-être, mais il grommelle, il groule pour vous avertir !

Un petit passage par le dictionnaire des francophones me confirme que ce sens est répandu en Belgique (dans les Ardennes), en Lorraine et en Picardie, mais que le mot « grouler » dans la Drôme, signifie flâner, errer (peut-être même « rouler sa bosse » ?), que dans le Perche, on groule quand on secoue les arbres pour faire tomber les fruits, tandis qu’on grelotte dans le Jura… Quant au dictionnaire de la langue française, il ne connaît  que les sens de « rouler, mouvoir, faire bouger » et se grouler (groûler) – équivalent selon moi de « se grouiller »…  

Le groulement  barbare de mon enfance a une puissance autrement évocatrice !

mb

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nouba (faire la nouba)

Les mots migrent dans la géographie et l’Histoire, au fil des événements, des voyages, des rencontres et des alliances.

En Bretagne, il n’était pas rare que les familles soient très nombreuses. Mes grands-parents ont eu 10 enfants, dont l’aînée corvéable fut ma mère, née en 1929. Beaucoup de bouches à nourrir sur la seule petite ferme de métayers. Tour à tour, les filles ont donc migré jeunes vers les villes, les familles bourgeoises, comme bonnes à tout faire, et les garçons vers la marine, militaire ou commerciale. Certains ont fait les colonies, d’autres la guerre d’Algérie. L’occasion pour les unes et les autres de rapporter des mots d’ailleurs dans notre parler rural. Ainsi « faire la nouba », que je dis encore, tout naturellement.

L’expression, apparue à la fin du XIXe siècle, provient de l’arabe classique nowba qui veut dire « tour ». Car, au Maghreb autrefois, les musiciens se relayaient pour jouer leurs airs devant les maisons des dignitaires. Les troupes coloniales d’Algérie ont ensuite repris le mot pour parler des tirailleurs nord-africains qui faisaient la fête en jouant de leurs instruments traditionnels.

J’ai gardé ainsi de mon enfance une flopée de mots qui étonnent mes enfants : « Tu es la seule à dire ça ! » C’est mon côté vintage. Mon amour des mots aussi, qui disent toujours davantage qu’ils n’en ont l’air.

Ah, si j’avais fait autant la nouba que les jeunes d’aujourd’hui ! L’époque était très coincée, notamment pour les filles…

(Marilyse Leroux)

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survivance, parleyage, cacochyme… valcheputig et puttemoos

Gerald Vizenor (écrivain amérindien né en 1934 dans leMinnesota , dans ses oeuvres splendides, utilise beaucoup de noms anishinaabe, venus de son enfance. Mais ils n’ont pas passé dans la langue anglaise. Ni son mot « parleys » qui vient du francais « parleyage », dialogues qui figurent de façon proéminente dans ses romans. Par contre « Survivance » mot qu’il a anglicisé à partir du français ou ce mot un peu désuet s’emploie à désigner ce qui a été sauvé du passé, les héritances mythiques ou notariales. En un demi-siècle, Gérald Vizenor a fait de survivance  un canon de la critique littéraire américaine. Dans sa nouvelle langue, le mot désigne les actions de résistance culturelle, sociale, et civique des tribus natives d’Amérique du Nord qui non seulement préservent leur philosophie traditionnelle et leurs droits, mais les développent dans le contexte de l’adaptation inévitable à la civilisation des Blancs. Gérald Vizenor a donné à ce mot une profondeur et une émotion qu’il n’a pas dans la langue française.

Il y a aussi tous les mots « nouveaux » — surtout entre les 16-18e siècles — qui ont migré immédiatement dans plusieurs langues, les marchands y trouvant leur compte. Le voyage du « sucre » et de la « maize. » Denrée nouvelle, le sucre n’avait pas de nom avant Christophe Colomb. Qui le premier le nomma ? Peu importe. Zucchero, Zucker, sugar, sucre, cukier, prenez vos dictionnaires, le mot est le même dans toutes les langues. Mais ce mot le plus migrant de la planete est délogé aujourd’hui par par les edulcorants artificiels et le diabète. « Maize » a eu plusieurs hoquets linguistiques, ou bien osera-t-on parler de « colonialisme linguistique » ? Cette plante qui fut la premiere à faire un périple millénaire d’Amérique du Sud jusqu’en Malaysie par bateau (enfin, canot ou pirogue) a pris racine sur tous les continents. Le mot est universel, mais en polonais il devient « kukurydza » (j’adore ces sonorités, on pense tout de suite a un poulailler et par extension au voyage de Khrushchev dans l’Iowa en 1959 et à ses désastreuses cultures de maïs dans le Kazakhstan), en anglais « corn » (mot dur et stérile) et en italien « granoturco » ou « grain turc » parce qu’à l’époque on croyait que l’empire ottoman était le premier à l’avoir cultivé – peut-être en effet le premier maïs importé en Italie venait-il de Turquie, mais il s’agissait alors d’un retour du mais vers l’ouest. Que ces cinq lettres si simples m-a-i-z-e puissent recouvrir de si nombreuses variétés de plantes est simplement stupéfiant ! Tout comme les trois mille espèces de pommiers domestiques par les Chinois à partir de plantes sauvages venues d’Asie centrale, tout comme le thé venu d’Asie centrale, mais là il faut que je m’arrête parce que je dévie du sujet. Vous ne voudriez pas parler du jardin de mon enfance, tant qu’on y est ?

De mon enfance il y a des mots courant qui étaient mal utilisés et que j’ai du réapprendre. Le seul exemple qui me vient à l’esprit maintenant est l’orthographe de « parce que » qui était collée en un mot dans mon enfance. Parmi mes ancêtres, peu n’étaient pas bilingues ou trilingues, alors on leur pardonnera une faute d’orthografe.

Du yiddish il y a de nombreux mots aussi. Schmuck. Putz. Chutzpah. Ils sont passés dans la langue anglaise. J’en rencontre tout le temps dans mes traductions, des mots comme ça. Sans compter tous les mots anglais qui sont importés de toutes pièces dans les phrases françaises en une nouvelle mode pré-migratoire.

Revenons aux mots qui n’ont pas passé dans une autre langue : personne ne comprend quand je dis que telle pièce est valcheputig, mal rangée, mal tenue. Une ménagère valcheputig tient mal sa maison, dans un état de désordre chronique venu d’une attitude de désorganisation totale. Mot venu tout droit de mon enfance pseudo-alsacienne (j’ai grandi a Paris). Valcheputig, mot mulhousien pour être plus précise, « quel valcheputig. » Je n’ai aucune idée d’où il vient – introuvable dans les lexiques alsaciens, même mulhousiens. Dans ma famille, personne ne voulait se voir coller cette étiquette, les Alsaciens, c’est bien connu, aimant l’ordre et la propreté, la ponctualité et la politesse. Vu les sonorités du mot, je lui ai toujours vu un côté primesautier, étourdi, imprévisible, un désordre créatif. Valcheputig, c’est une valse de l’esprit, pourquoi pas ?

Un autre mot à se pourlécher les badigoinches, c’est Puttemoos, la confiture d’églantine. C’est une orthographe fantaisiste d’après la prononciation de ma famille paternelle (Alsace sud). Le mot enregistré sur le site web de Simone Morgenthaler (Alsace nord) dit « Butteműs », le mot « Butten » en allemand, appendice, utilisé en cuisine pour désigner de petites saucisses, et le mot « Műs » signifiant compote ou autres Muesli qui sont une spécialite germano-helvétique. Donc de la confiture de petites saucisses rouges de cynorhodon. Dans ma famille, on allait chercher chaque automne des seaux entiers de pâte rouge carmin produite dans les fermes ; le gros du travail était fait, l’extraction des graines « gratte-cul, » le moulinage, et une première cuisson sans sucre. Une fois à la maison, on ajoutait du sucre à cette purée et on la faisait réduire a feu doux jusqu’à la consistance voulue. Un vrai délice pour les petits déjeuners d’hiver !

Je t’envoie aussi ce mot parce qu’il est cocasse : Cacochyme – utilisé au 17e siècle comme adjectif, désuet de nos jours. Mot toujours employé comme adjectif (un vieillard cacochyme, dit le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales). Ma famille, qui – ayant migré des confins de l’Europe orientale et prenant des libertés scandaleuses et ironiques avec la langue française, sans doute dans un dernier soubresaut contre le nivellement des dialectes par la Révolution française – l’employait comme nom, « un vieux cacochyme. » Cette expression avait une connotation plutôt affectueuse, avec une pointe d’exaspération. Adressée à tout un chacun qui, sans être fragile ni vieux, restait sur son séant, l’invective servait à le faire sortir de sa torpeur physique et mentale. Par contre ma famille restait loin du mot cacochymie qui décrit l’état de fragilité dû à la vieillesse. Ignorance ou peur de la proximité sonore du mot « cacophonie » ? Cacophonie cacochyme, cocasse cacochymie cacophonique, chimie cacochyme du cerveau cacophonique, là aussi les mots veulent valser. Vive cette fantaisie que Satie aurait su mettre en musique.

(Alice-Catherine Carls)

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en écho

De cacochyme à crincheux :

Etre crincheux, c’est, dans l’usage familial que j’ai conservé, être chétif, malingre, en mauvaise santé – crincheux, un enfant n’est pas bien soigné, un adulte crincheux n’est pas séduisant…  

 je crains d’être la seule à savoir utiliser ce mot inexistant par ailleurs – à moins qu’il ne soit la transcription erronée de « crancheux /craincheux » attesté dans le dictionnaire d’ancien français : cranche, faible, malade dans le patois normand et cranchu, rabougri, tordu, pour un arbre, maladif ou mal bâti pour un homme en wallon.

Bref, c’est moche, d’être crincheux,, triste comme cacochyme – bien pire que d’être maladif : il y a de l’avorton dans le crincheux, du mal fichu -c’est pire que tout : on sent le crachat de rejet dans le mot – ça rend grincheux !

(mb)

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esquicher :

emprunté du provençal « esquicha » avec le sens de presser fortement, comprimer écraser. Esquissar est  attesté au XVIe siècle à Avignon et Aix-en-Provence. Il m’est  arrivé d’entendre à Marseille dans mon adolescence, lorsque je me trouvais serrée au milieu d’une foule ou dans le bus aux heures de pointe, l’expression : « on est esquiché comme des sardines » Moins employé aujourd’hui on retrouve cependant ce verbe dans des textes où l’auteur met, en scène le parler marseillais ainsi Henri Frédéric Blanc : « Mais il est fada ! Tu te rends compte de ce tu dis ? Si tu meurs, tu passeras ta vie esquiché dans un cercueil !  » (Jeu de massacre, 1993) ou Patrick Cauvin « – J’ai la tête dans un carcan, ça m’esquiche de partout « (, Rue des Bons-Enfants, 1990). Et Il existe à Aix une rue qui fait écho à ces propos c’est  la rue Esquicho Coude, si étroite, qu’on prétendait que celui qui s’y aventurait devait serrer les coudes pour éviter d’en  toucher les bords!

rue Esquicho coude, photo Yannick Resch

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vive à la colle :

En ce 8 mars qui célèbre la lutte des femmes me revient le parler haut en couleur de ma grand-mère « Mémette » qui faisait tiquer ma mère devant l’enfant que j’étais. Ainsi, on ne parlait pas chez moi de « concubin », ce mot qui fait pincer les lèvres quand on le prononce.  J’appris, sans étymologie savante, que certains pouvaient « vivre à la colle ». Elle prononçait ces mots avec un ton bravache comme si elle admirait ce défi à l’autorité, civile ou ecclésiastique. Les gens qui étaient à la colle avaient du cran, ils s’aimaient sans demander l’autorisation du curé. Peut-être l’admiration allait-elle encore plus à ces femmes libres qui avaient leurs hommes dans la peau au point de se coller à eux sans demander la bénédiction de quiconque.  Evidemment, aujourd’hui on peut penser qu’elles se laissaient peut-être facilement abuser…Mais après tout, Sartre et Beauvoir ne vivaient-ils pas à la colle ? Notre PACS contemporain plus politiquement correct fait bien plus pauvre, même si je ne peux m’empêcher d’y entendre PAX pour la paix des ménages…

(Albertine Benedetto)

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 Pétaouchnok, Perpette-les-olivettes, Perpette-les-oies, Trifouillis-les-oies :

Aller à Pétaouchnok, c’est bien sûr aller très loin, on ne sait pas trop où et c’est tout le charme de l’expression. C’est souvent dit sur un ton un peu désabusé, comme si cet endroit était vraiment trop éloigné, trop loin de tout, ouvert à trop de possibles peut-être ? Perpette-les-olivettes sa cousine résonne plus gaiement grâce à la rime. D’autant plus que l’on dansait les olivettes comme nous le rappelle opportunément le CNRTL (https://www.cnrtl.fr/definition/olivette). Ce mouvement de la danse nous amène alors à la migration des oies – à moins que ce ne soit l’inverse : qui de Perpette -les-oies ou de Perpette-les-olivettes est née la première ? Confusion, fouillis des expressions populaires qui se chevauchent, se contaminent et se rebellent contre toute prétention à la « pureté ». De quoi s’en remettre à tous les saints de Trifouillis-les-oies !

(Albertine Benedetto)

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mandorle :

Chartres portail central – « Une mandorle est une figure en forme d’ovale ou d’amande dans laquelle s’inscrivent des personnages sacrés » (source wikipedia)

« Mandorle : c’est la forme brûlante que prend la nuit quand elle t’appelle. À la fois origine de l’obscurité et énigme du désir, c’est un passage secret dont le secret vivant engendre du vivant sans jamais se transformer.

La barque merveilleuse offrant une traversée entre le corps et l’incorporel, le sacré et l’extase.

La dune au chapiteau des colonnes moyenâgeuses où se reflète la clarté mue par l’absence des visages divins.

Un goût aussi : celui de l’Italie dans les biscuits du dimanche.

Et ses yeux qui sourient au défi des tristesses dont la joie est un instant… intarissable.

Mandorle c’est une poésie toute entière. Une rencontre tardive avec José Angel Valente, lequel, me précédant dans ma trouvaille, m’a volé le mot – au ressentiment que j’éprouvais d’abord succéda une grande félicité. »

(Franck Bouyssou)

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en écho

La Mandorle, eau-forte de Pierre Cayol

(suggérée par Catherine Carls)

http://www.pierre-cayol.com/

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pougnac

« Tu as encore fait un pougnac! » : c’est que je déteste la couture – ou plus exactement, elle ne m’aime pas trop – enfant, j’avais pourtant demandé, dans ma première commande de Noël, une mallette de couture, mais j’ai tôt dû me faire une raison : les gauchères, à l’école où l’on apprenait alors aux filles cet art ménager, ne peuvent s’en sortir, elles font tout à l’envers, ce n’est pas beau du tout. Et c’est vrai que souvent ce que je pratiquais tenait du « pougnac » comme le désignait ma mère – mot que j’ai retrouvé  (pougnac ou pugnac – ponhac – ama de fils, ratage en couture) comme appartenant au lexique gascon… un mot occitan dans ma famille wallo-flamande ?

Selon l’enquête que j’ai consultée « Pougnac » est connu précisément de 5 des personnes interrogées : 2 élèves nés en Gironde en 1994 et de trois adultes nés en 1958 et 1960 en Gironde, en 1979 dans les Pyrénées-Atlantiques. Quatre des 5 enquêtés connaissent de façon exacte la signification de ce mot : ce sont des femmes, le seul garçon (né en 1994) qui le connaît a rapporté les propos de sa mère. « Ce terme concerne la couture ou le linge et ceux qui le connaissent le rattachent systématiquement au verbe « pougnaquer » « ponhacar » qui désigne l’action de « coudre, de repriser grossièrement » selon Palay, et par extension de sens mettre en boule, froisser. C’est donc un terme qui sanctionne une incompétence en couture ou en manipulation du linge. Peu connu, il est en relation avec les tâches qui incombent le plus souvent aux femmes, et présente la particularité d’être cité par diverses générations. « 

Voilà ce qui éclaircit le mystère en ce qui concerne l’introduction de ce mot dans le trésor lexical de ma famille : la guerre de 1939 ayant dispersé la famille de ma mère, orpheline de la sienne, morte de pneumonie à une époque où les antibiotiques n’existaient pas encore, elle avait échoué loin de la guerre et des rafles, dans un orphelinat arcachonnais, où elle avait appris à coudre et broder…

Oui, les mots migrent, ils ressurgissent, il font des pougnacs dans la langue, des nœuds de fils qui s’entrecroisent – et finalement, je trouve que c’est bien aussi beau.

(Marilyne Bertoncini)

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La graillire :

il s’agit des éclats de pierres qui ruissellent en chantant sur les pierriers de nos montagnes des Alpes, plus prosaïquement des plus petites pierres qui composent ces pierriers.

Éduqué dans une famille dans laquelle depuis plusieurs générations le français a représenté le choix exclusif de la langue nationale, de l’école et de l’ascension sociale, je n’ai été exposé au patois savoyard que dans les domaines du monde paysan, de la montagne et de la météorologie, domaines de l’élémentaire dans lequel cette langue complète parfois avec tant de force le français de l’écriture. Comme dans ce morceau de poème inédit de mon dernier recueil, rendre souffle.

écoute / écoute la graillire et comme d’un passé à jamais révolu la terre / déchirée

recommence le Jardin

N.B. : le patois savoyard étant une langue orale, j’ai orthographié le terme au plus près de ses sonorités.

N.B. : “la terre déchirée recommence le Jardin” est une citation de Gustave Roud.

(François Coudray)

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Un abrazo :

c’est l’étreinte par laquelle on se salue en Amérique latine, et l’une des formules possibles pour prendre congé à la fin d’un échange écrit (courrier, courriel, textos…). Elle a la force vive et affectueuse de l’embrassade (si le terme était d’usage) et lève toute l’ambiguïté du français dans lequel on glisse imperceptiblement, en embrassant, des bras de l’étreinte aux lèvres du baiser : abrazo n’est pas beso ! D’aucuns pourront le comparer au hug états-unien  : le geste est proche en effet mais la mise en scène (et oserais-je écrire la chaleur) de ces deux sociabilités différent (comme tant d’éléments culturels de ces deux Amériques).

Pour toutes ces raisons, je l’ai adopté comme formule de clôture de mes échanges écrits. Il reste ainsi, en ma langue, une trace de ce long séjour en terre d’Uruguay que j’aime à croire indélébile.

(François Coudray)

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Addirittura /combinazione

Il y a l’habitude, en italien, de se servir de certains mots-joker pour renforcer un discours et qui n’ont pas de vrai équivalent dans la langue de Dante. Par exemple l’usage de « addirittura » et de « combinazione ! ». En voici des exemples :

« Ti consiglierei addirittura di cambiare marciapiede quando lo incontri » (je te conseillerais tout bonnement de changer de trottoir quand tu le rencontres).

« Mi sono sposato tre volte. Tre volte ? Addirittura ! » (Je me suis marié trois fois. Trois fois ? Non, c’est pas vrai !).

« Combinazione, ho perso l’autobus proprio il giorno dell’esame ! » (Il se trouve que j’ai perdu le bus, le jour-même de l’examen. Sous-entendu : quel fâcheux hasard !

À part l’aspect musical de ces deux mots qui m’ont toujours fascinée et amusée, les linguistes font remarquer une vocation synthétique, symbolique et sensorielle de l’italien, alors que le français est plus logique, cartésien, discursif. Ceci dit, on se régale dans les deux langues (et dans toutes les langues aussi, je suppose !). Bon printemps à vous tous, amoureux des mots.     

(Viviane Ciampi – France / Italie) 

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ratapanade

c’est comme ça qu’on nommait les chauves-souris du côté de Montpellier, j’imagine que ça vient de l’occitan) et 3 vers pour l’accompagner :


Ratapanade au vol hirsute
dans la nuit claire d’été en ruine
d’un château hanté de garrigue

(Dorothée Coll)

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en écho

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ratapignata et gobi :

ces deux mots, je les ai découverts à Nice – dont ils sont l’emblème inversé – carnavalesque dirais-je – en écho aux armoiries flamboyantes de la région, rappelant aussi le Dauphiné dont la countea fit partie :

d’or au dauphin d’azur crété, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules pour le Dauphiné (département des Hautes-Alpes) 
d’argent à l’aigle couronné de gueules, empiétant une montagne aux trois coupeaux de sable issant d’une mer d’azur et ondée d’argent pour Nice (une partie du département des Alpes-Maritimes)

A l’aigle niçois toisant fièrement l’ouest, les pieds posés sur trois collines, répond la nocturne pipistrelle « ratapignata », au nom ratatiné, ricanant et opiniâtre (d’ailleurs, on la dit symbole de résistance comme l’héroïne de la ville, Catarina Segurana – que je connais bien pour avoir enseigné dans le collège portant son nom, au pied de la colline du Château, où elle a un monument) ,

au dauphin, son jumeau inversé; le gobi – mot provenant peut-être de l’arabe, dont le dictionnaire me dit qu’il est le nom du goujon commun, poisson vivant sur les fonds sablonneux, mais que je connais surtout en raison de l’expression née de ses gros yeux globuleux : en effet, d’une personne aux yeux fatigués, déformés par le sommeil, sinon exorbités par la surprise, on dit qu’elle a « des yeux de gobi »… Le niçois est une langue très imagée, et cette expression me sert souvent, le matin, quand je constate l’état des choses, dans le miroir de la salle de bain…

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die schatulle – la cassette


ce vieux mot le trésor
d´une enfant
ne préservant
ni décoration
ni diamant
mais sa première
bague en pyrite
sciée depuis que
les doigts de la petite
ont grandi vite
son papier de bonbon
sans cesse resucé
la pâquerette séchée
et les mots répétés
il m´aime il ne m´aime pas…
tout comme le don courtois
du troubador
la cassette die schatulle
a fait son temps

(Eva-Maria Berg)

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en écho

tralala :

Le texte d’Eva-Maria Berg m’a fait repenser à nos problèmes de traduction de mon texte Gérardmer. Voilà comment le mot tralala, onomatopée bien française, a migré vers la langue allemande :

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A quoi bon ce tralala

ce trajet en grande pompe

du lac et des sapins

cette fraîcheur de satin

du linge neuf de Gérardmer

pour les jeter entre deux planches ?

Albertine Benedetto, Gérardmer (éd. PVST)

Wozu ist das Tralala gut

diese Reise en großem Pomp

vom See und den Tannen

diese Frische aus Satin

der neuen Wäsche von Gérardmer

um sie zu zwischen zwei Bretter zu werfen ?

traduction Eva-Maria Berg

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ketchup :

Ce mot et son étymologie sont pour moi un souvenir bien agréable. De retour de Taïwan, je venais d’ouvrir mon petit cabinet de traduction chinoise. J’avais une vingtaine d’années. 
On m’avait demandé de réviser les mots d’origine chinoise d’un dictionnaire français. Ketchup était l’un d’entre eux.
Ce condiment très populaire dans le monde entier a été découvert au 17ème siècle par les Anglais en Extrême-Orient. 
Il s’agit au départ d’une sorte de saumure de poisson préparée par les pêcheurs du Sud de la province du Fujian. Le mot original serait 鮭汁,prononcé kê-chiap en langue minnan. 
Les anglais ont ajouté des champignons et d’autres ingrédients à la recette originale, s’inspirant aussi de la phonétique pour créer le mot ketchup. 
La recette moderne avec des tomates a été élaborée aux États-Unis au début du 19ème. Monsieur Heinz, fondateur de la célèbre marque y a ajouté du sucre.
Quant à l’étymologie exacte, elle reste incertaine. Le mot ketchup pourrait provenir de la prononciation cantonaise ke2 zap1, voire du malais…

En conclusion, je dirais qu’il faut de tout pour faire un monde 😉

(Elizabeth Guyon-Spennato)

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Ben tornato -ben tornata

Cette formule d’accueil, à chacun de mes retours en Italie, me touche toujours beaucoup –  il me semble qu’elle n’a pas d’équivalent en Français, car c’est elle qui me vient aux lèvres quand il s’agit de souhaiter la bienvenue à un ami de retour d’un voyage : « bienvenue au bercail », me donne le dictionnaire de traduction – « bienvenue chez toi »… mais qui emploie vraiment ces expressions, sinon le dictionnaire ? Ce « bon retour » – « bien rentré », dans sa simplicité, me manque pour témoigner le plaisir des retrouvailles.

Ben tornato, l’expression ouvre ses bras à l’enfant prodigue, au voyageur attendu, comme Ulysse rentrant enfin dans sa patrie (un enfin qui n’est pas forcément aussi long que celui du voyage du roi d’Ithaque, mais qui marque que la place de celui qui revient lui a été tenue, qu’on l’a attendu, que la table est depuis son départ dressée pour son retour).

Benvenuto – ben tornato – les formules d’accueil sont à multiplier !

(Marilyne Bertoncini)

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4

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beauseigne :

C’est un mot qui a traversé mon enfance stéphanoise, un mot « gaga[1]», entendu ici et là, toujours sur un ton de commisération – un mot où, enfant, j’entendais – à tort – le verbe « saigner » : celui qui saigne, dont je comprenais mal qu’on puisse le trouver « beau ». Sans toutefois me tromper tout à fait quant au sens, comme l’indique ce lexique concocté par un libraire stéphanois :

*** Beauseigne, bichette, bissignette (excl. et n.) 1° Exclamation de compassion ou de sympathie signifiant à peu près hélas. « Il a débaroulé dans ses escayers, il s’est tout petafiné, beauseigne. »

2° Celui qui en est l’objet, pauvre, malheureux chronique. « Donne-lui une pièce à ce beauseigne, bichette. » ( Jacques Plaine & Jean-Luc Epalle Dictionnaire Gaga-Français / Français-Gaga, Actes graphiques éditeur, 2012. (*** : usage très fréquent)

     Ce n’est que plus tard que j’en découvris l’orthographe, susceptible de prêter  des origines de haut lignage à ce mot populaire – hypothèses étymologiques dont Wikipédia se fait l’écho :

« Il pourrait s’agir d’une exclamation de pitié qui serait un diminutif de « beau seigneur Jésus ».

Il existe une autre version plus romantique, mais proche de la première quant à la déformation des mots. Pierre d’Urfé2 aurait, en 1490, délivré un de ses amis, un comte condamné à mort par le roi Louis XII (bravant le refus de ce dernier de gracier le condamné), le jour de son exécution. La foule venue au spectacle morbide aurait été prise de pitié à la vue du comte, par son calme, son courage et sa beauté. Les gens auraient alors eu ce mot : « Oh ! beau seigneur ! ». La locution aurait alors été réutilisée pour exprimer un sentiment de compassion, se transformant petit à petit en « beauseigne ». »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Beauseigne

 Ce beau mot, probablement en voie de disparition, ce « beauseigne », aurait pourtant beaucoup à vivre de nos jours, pour ce qu’il porte de la compassion qui l’anime et qui nous rapproche de nos « frères humains ».

(Françoise Vignet)


[1] « Le patois utilisé, le parler gaga, relève de la zone du franco-provençal, et mêle l’occitan, dont la limite septentrionale touche aux bornes du pays stéphanois, au français. Il utilise des mots et des tournures incompréhensibles pour un étranger. » (Gérard Thermeau, André-Antoine Neyron, 1772-1854 : essai biographique, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003, page 28) https://fr.wiktionary.org/wiki/gaga

2 – *Seigneur du Château de La Bastie en Forez où sera élevé Honoré d’Urfé (1567-1625), auteur de L’Astrée.

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frichti :

repas simple, à la bonne franquette
dérivant sans doute de l’allemand Frühstück « petit déjeuner »

Tôt le matin jusqu’en fin de journée
tout va de soi
une chose entraîne l’autre
les heures défilent
sans qu’il puisse en être autrement
un jour et déjà pointe le jour suivant
et tout recommence
le travail les enfants
les rendez-vous
les achats
les factures
le bon ordonnancement des tâches que vient dérégler le moindre imprévu
la petite panne
un retard un oubli
exténué
de temps en temps
entre deux urgences
le temps d’une pause
retrouver ses amis
partager un frichti

(Pierre Rosin)

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bourrier :

Un bourrier… On me reproche souvent des mots désuets que personne ne dit plus, sortes de transfuges de mon milieu, de mon époque. J’aime ces mots migrateurs pour ce qu’ils disent de notre histoire.

Dans mon enfance morbihannaise des années 50/60, il n’existait ni ramassage des poubelles, ni tri sélectif (hormis le compost qu’on appelait fumier), ni déchetterie, De toute façon on gardait tout, au cas où. « Ça peut toujours servir » était le sésame pour descendre au sous-sol le rescapé du moment, direction la dernière strate archéologique de notre vie. Celles et ceux de mon âge qui ont eu à vider la maison de leurs parents savent de quoi je parle.

Donc les bourriers fleurissaient un peu partout. Dans les tiroirs, les tables de nuit, les placards, « Range ton bourrier ! », les fonds de cour, les poulaillers… Et aussi dans les creux de campagne où les gens jetaient leurs indésirables. Ces décharges sauvages,étaient nos îles au trésor, à mon frère et moi, de vrais terrains d’aventures où nous fouillions à mains nues tout ce qui pouvait attirer notre œil avide de tout. Nos parents ne voyaient pas le danger sans doute, il faut dire qu’on ne leur disait pas grand-chose de nos agissements… Comme beaucoup d’enfants de notre milieu, nous vivions dehors, à la va-comme-je-te pousse. Je me souviens être tombée un jour, dans un bourrier proche, sur une mine d’anciennes cartes postales de mon village. Un vrai trésor pour l’imaginative que j’étais !

Un après-midi, une voisine, que notre père avait dû aider, sortit pour nous sur deux tréteaux le bourrier de sa maison. Un tri sélectif pour le coup : d’anciens jouets de toutes les couleurs, toupie, ballon, dînette, voiturettes en métal, bric-à-brac en veux-tu en voilà… Je nous revois, émerveillés devant ce don des dieux étalé comme au marché : « Vous prenez tout ce que vous voulez. » Il faut dire que dans nos familles populaires nous ne possédions quasiment rien. La société de consommation n’avait pas encore lancé son rouleau compresseur et nos parents étaient pauvres eux aussi, juste un peu moins que cette vieille femme.

Aujourd’hui, je chasse le bourrier, je trie, je donne, je recycle, je jette. J’aime faire place nette. J’ai mes boîtes à ficelles, à rubans, à boutons, à cartes postales, à timbres… Un clou est un clou mais dûment classé, dûment rangé. Pas envie de laisser du bourrier à mes enfants. Ni le cœur, ni l’époque.

(Marilyse Leroux)

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Dat :

Ces lignes lues aujourd’hui dans le livre de Delphine Horvilleur Vivre avec nos morts (Grasset, 2021) : « Les mois de l’année hébraÏque sont tous tirés du calendrier babylonien, de nombreux mots y sont dérivés du grec ancien ou de l’allemand, et même la religion qui, comme chacun sait, pèse lourd dans cette région du monde, est un mot qui n’existe pas en hébreu. On la désigne par le terme Dat, en faisant mine d’ignorer qu’on utilise un mot persan. »

Voilà qui donne matière à penser. Les mots voyagent et ne s’arrêtent pas à un prétendu « droit du sol » qui se transforme trop souvent en bain de sang.

(Albertine Benedetto)

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tata :

c’est un mot très doux, prononcé en italien en accentuant la première syllabe : tà-ta, TAA-ta – bien plus que le Tata en France, qui ne désigne que la soeur de votre père ou votre mère, la tante, tantine – diminutif affectueux mais qui ne désigne que cette personne avec qui vous avez un lien de sang ou d’alliance.

En Italien, la soeur de vos parents, c’est la zia… »Tata » se dit de la nourrice, la grand-mère, la nounou, la nurse… de toute femme chargée de ce que les anglo-saxons appellent le « care » de l’enfant. Ces soins prodigués avec amour pour vous protéger, vous élever, vous éduquer, vous nourrir… qui créent un lien d’affection indéfectible – la Tata demeure le plus tendre souvenir – et s’étend au masculin – il tato . tà-to, TAAto se disait (se dit encore?)

TAAta, comme une caresse de mot qui reste de l’enfance – je ne peux l’employer sans penser à la sonorité qui en fait un mot de la famille de tact, tâter, toucher, comme si le mot doté d’une aile allait frôler la main ou la joue de l’autre à qui il s’adresse.

(Marilyne Bertoncini)

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trefolir, trefoliment, trelutz, auba / alba,aubièra / l’albièra , aubièra / l’albièracalabrun et jorn falit :

Les Mots de la tribu

Parmi « les mots de la tribu », il y a ceux de la langue occitane qui affleurent en moi et rayonnent toujours par leur force et leur musicalité.

 Cette langue, est là, sous-jacente, à portée de nos mémoires. J’ai plaisir à choisir quelques-uns parmi tant de vocables lumineux de cette langue….Une façon de rendre hommage à Frédéric Mistral, dont on fête cette année le prix Nobel qu’il obtint en 1904 avec son grand poème Mirèio

Citons parmi ces mots de lumière le verbe trefolir et le substantif trefoliment,  (tressaillement,  transport du coeur , impatiente ardeur). Un mot incite à la rêverie tel que trelutz :« éclat extraordinaire », « splendeur ardente », « orient », « éclat », auquel il faudrait ajouter cette expression « Aquò se vei au trelutz » signifiant « Cela se voit à travers le jour »…. Et puis, il y a auba / alba, « l’aube »et la prima auba, c’est« le point du jour » ;  l’auba, a un aure sens : il  est le nom du peuplier blanc (populus alba). Avec la même racine il y a l’aubièra / l’albièra « la gelée blanche », l’aubierada / l’albierada « couche de gelée blanche » ; et puis je ne résiste pas à signaler  l’aubièra / l’albièra « la rosée », l’aiganhada « agréable petite rosée ». Avant de refermer ce si bref vocabulaire, signalons esclarsir, esclarsiment « éclaircir » et « action d’éclaircir » ; Il reste à mentionner calabrun, « le crépuscule », et le « clair-obscur »,  ; et enfin avec le même sens jorn falit, « le jour qui tombe ».

Prononciation des vocables cités.

Tréfoulimén,  barbéla, tréluç : ; aquo sé véÏ aou tréluç : aouba (accent tonique sur la diphtongue ; l’aoubièra (accent tonique sur l’avant-dernière) ; l’aoubiérada (accent tonique sur l’avant-dernière syllabe) ; calabrun (nasaliser la dernière syllabe) ; djour fali (accent tonique sur la dernière syllabe) ; aïgagna (accent tonique sur l’avant-dernière), aïgagnada (accent tonique surl’avant dernière) ; esclarzi, esclarsimen (accent sur la dernière syllabe) ; djour fali (accent sur a dernière syllabe). Le « a » final, marque du féminin, se prononce différemment selon les régions provençales : « o » ou « e » ; Le niçard prononce la finale « a ».

Une anecdote à propos de l’occitan « AUBA ».

Lors d’un brève fugue, André Breton et Suzanne Muzard en 1927 sur l’île de la Barrhelasse, à Avignon, les deux amants s’étaient retrouvés dans un restaurant nommé LES AUBES. Valendine Hugo et André Breton y sont revenus en 1932. Cette dernière, sans doute à la demande de Breton, a photographié le panneau « Les aubes » devant le restaurant. Dans Nadja, Breton écrit :« (…) Je laisse à l’état d’ébauche ce paysage mental, dont les limites me découragent en dépit de son étonnant prolongement du côté d’Avignon, où le Palais des Papes n’a pas souffert des soirs d’hiver et des pluies battantes, où un vieux pont a fini par céder sous une chanson enfantine, où une main merveilleuse et intrahissable m’a désigné une vaste plaque indicatrice bleu ciel portant ces mots : LES AUBES. »

Notre poète avait dû être frappé par le pluriel de ce mot aube qui, en général, reste toujours au singulier. C’est pourquoi Valentine Hugo a photographié le panneau portant ce nom. Mais ce que très certainement notre auteur ignorait c’est que « Les aubes » désignaient de fait plus prosaïquement les peupliers blancs qui foisonnaient (et foisonnent toujours sur l’île) autour du restaurant.

(Joël-Claude Meffre)

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en écho

calabrun, la brune et calabrone :

Je ne connaissais pas le mot occitan désignant le crépuscule – ce moment si particulier de lumière incertaine, « entre chien et loup » – qu’une expression vieillie, désormais oubliée, nomme la brune :
« Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i. »

Alfred de Musset,

Mais il m’évoque aussi cet insecte qu’en Italie j’ai appris à nommer calabrone, et qui en français est le bourdon, ou le frelon : dans calabrone vrombit l’insecte mieux qu’avec le mot « bourdon », si sourd, moins ailé – c’est un mot que je n’emploie plus depuis que je connais le calabrone. Et voici que le voisinage avec le crépuscule – tout à fait fortuit (le dictionnaire étymologique indique une origine onomatopéique) mais si joli – donne sens à la confusion entre le vrai bourdon, brun et jaune, et les insectes « faux bourdons » au corps noir et velu : calabroni, nés pour évoquer dans le plein jour la présence de l’obscur qui guette.

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DallE & mbp – les calabroni dansent autour du vase de tulipes.

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calouchette :

Avant clochette et couchette se glisse cette curieuse calouchette dont je trouve sur la toile qu’il s’agit d’un petit véhicule, d’une petite carriole : « J’ai déjà entendu ce mot qui doit être un diminutif de Calèche, mais ma grand-mère originaire de Marnoz (Jura) disait plutôt une caloubrette pour désigner la même chose », peut-on lire sur un forum de discussion. Alors, d’où vient que mon père employait ce mot (toujours sur le mode humoristique) pour évoquer la prison ? D’une quelconque contamination avec la cabane ou le cabanon ? Ainsi, on peut lire dans le Dictionnaire de l’Académie (https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C0014) :

1.  Cachot très obscur dans une prison (vieilli). Fam. Cellule capitonnée réservée aux malades mentaux très agités. Il est bon pour le cabanon.

2.  Petite cabane. Spécialement. En Provence, petit logis rural, souvent en bord de mer.

Effectivement le mot signifie en argot « prison militaire ». Voici une citation extraite d’une parodie de notre bon Corneille : « la vi’toire , ou c’est la calouchette , Et comme i ‘ disait l’autre avec son nom romain : Le sort en est jeté, je m’enlève la main. » (in  B. Cinna [Texte imprimé], parodie en 5 actes et en bônois de la tragédie de Corneille «Cinna»).

Une seule explication pour moi : c’est en faisant son service militaire à Casablanca (en 1953) que mon père Provençal a dû entendre ce mot et l’a trouvé suffisamment pittoresque pour le faire entrer dans son lexique personnel. D’ailleurs, personne autour de moi ne connaît ce mot !

(Albertine Benedetto)

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casser les taraillettes :

Étrange la manière dont remonte le parler de l’enfance. « Ils ont cassé les taraïettes », disait Mémette avec un sourire narquois. Autre version, provençale, du fameux divorce à l’Italienne : Ils ont cassé la vaisselle, symbole de la vie commune, des plats mitonnés sur le potager et partagés. Les taraillettes (ou taraïettes) c’était toute une dînette faite de poterie miniature (3 à 8 cm) qui permettait de reproduire les gestes des grands. Dans le Grand Trésor du félibrige, Mistraldonne une définition de la tarraieto : « petite poterie, petite pièce de vaisselle pour amuser les enfants ». En effet, jouer à la dînette faisait se plier les adultes à la taille des petits, changer d’échelle en somme. Et comme nous gagnions en importance, faisant de la dînette une cérémonie !

Albertine Benedetto

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flache :

c’est par « flash » que la langue de l’enfance remonte dans le discours – ainsi la flache d’eau qui, dans le Nord, désigne une flaque, et pour moi plus précisément, l’eau étale restée dans un creux de sable du rivage à marée descendante – car les plages du Nord ne sont pas aussi plates qu’on l’imagine : le sable y dessine des dénivellations, au fil des courants, et à marée basse, des flaches d’eau tiède se découvrent. Il est agréable de s’y baigner, enfant, et d’y observer la menue faune prisonnière – anémones, jeunes crabes aux carapaces transparentes, crevettes grises, algues flottantes… Agréable, et dangereux, si l’on ne tient pas compte des horaires des marées, car on peut vite y rester prisonnier, si un adulte ne veille pas au retour. C’est dans les flaches les moins profondes que je pêchais seule les crevettes avec un filet miniature – et avec mon grand-père, le matin tôt, en bord de rivage, lui armé de l’imposant filet dont le nom m’échappe aujourd’hui – ragot? épuisette? haveneau/havenet, poche à crevettes ? ce sont les mots que me donne Google – aucun ne me parle… je pense qu’on disait tout simplement « filet » – on le récupérait tout odorant d’iode, un peu rêche à cause du sel, parfois orné de la dentelle desséchée d’une algue oubliée – on le poussait dans l’eau, puis on le retournait sur le sable sec, pour trier la capture : rejeter les petits crabes, les vives (sans se piquer), les petits poulpes… pour ne retenir que les transparentes crevettes grises, gigotant entre les doigts cruels – et qui finiraient presque roses sur une tartine de pain beurrée…

(Marilyne Bertoncini)

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les bredins

c’est ainsi que l’on nomme coutumièrement les fous a Ainay-le-Château, dans le département de l’Allier.

Je l’ai découvert au travers d’une recherche fort intéressante menée durant 4 années par la chercheuse en psychologie sociale, Denise Jodelet.

Celle-ci nous emmène ainsi à la « Colonie familiale » de cette bourgade (et de ses environs), au sein de laquelle plus de mille patients d’un hôpital psychiatrique sont placés dans des familles d’accueil, et ce depuis plusieurs générations. Le tableau ethnographique que nous en propose Denise Jodelet nous fait véritablement découvrir « un monde insoupçonné » pour reprendre l’expression de Serge Moscovici, dans la préface de Folies et représentations sociale, paru en 1989.

Ce contexte de cohabitation et de rapport étroit avec le « fou », révèle l’étendue des peurs à vis de la folie, dont celle d’être contaminé, et donne la mesure de la mise en place de stratégies de défense, de mises à distance collectives scrupuleusement respectées. La « dénomination » de ces « pensionnaires », et ce point est essentiel, ressort comme une manière de marquer avec efficacité la différence entre les malades et les villageois, d’ériger une frontière invisible, mais infranchissable, entre « eux » et « nous ». Ainsi la chercheuse propose au cours de cette étude un petit répertoire des dénominations (toutes sur le registre du masculin) du malade mental : « le bredin », ce « non civil », c’est aussi le fou, le « maboul », « l’innocent », ou encore « le gars de cabanon ».

Une étude qui ouvre une réflexion pleinement d’actualité sur la figure de l’altérité et sur la mise en danger de l’équilibre identitaire face à « l’étranger ».

(Christine Durif-Bruckert)

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en écho

Débredinoire :

Il y a certes les bredins ou berdins (par métathèse) à Ainay-le-Château. Ce sont, comme il a été dit, les « fous », mais aussi les « simplets », les simples d’esprit. Nul hasard en tout cas que cela se passe dans l’Allier. Heureusement pour eux, dans ce même département, il y a la fameuse débredinoire du village de Saint-Menoux. Quésaco ? C’est le sarcophage de saint Menoux qui est troué d’un demi-cercle dans lequel les bredins doivent passer la tête pour se faire débrediner ou déberdiner. Il se trouve dans le chœur, derrière l’autel de l’église paroissiale. Le « trou » en question est, au départ, une simple fenestella, terme technique désignant une petite ouverture permettant de voir ou de toucher la relique d’un saint. C’est au 12e siècle qu’elle a été agrandie.

On raconte que, vers la fin sa vie, Menoux (lat. Menulphus), un anachorète venu d’Irlande au 6e siècle, s’était attaché les services d’un certain Blaise, le simple d’esprit du village (alors appelé Mailly-sur-Rose). À la mort de Menoux, Blaise, pris d’un incommensurable chagrin, se coucha sur le sarcophage. Un peu plus tard, le curé perça un grand trou dans le sarcophage de Menoux pour que le simplet puisse y entrer la tête et entrer ainsi plus encore en communion avec son protecteur sacré. On ajoute qu’au fil du temps Blaise, de simplet, devint parfaitement sage. D’autres suivirent son exemple et furent guéris du même mal. Mais gare ! On dit que celui ou celle qui, par malheur, toucherait les bords du trou en passant la tête deviendrait tout d’un coup le récepteur de toute la folie accumulée depuis des siècles dans la pierre… Rassurez-vous : l’ouverture est suffisamment large pour qu’il soit difficile d’en toucher les bords, à moins d’avoir commis la folie d’avoir un peu trop arrosé un bon repas… Mais il ne ferait pas bon mimer, par plaisanterie, la folie, car la vengeance du saint pourrait s’avérer terrible. 

Ce rite n’est cependant pas une plaisanterie et l’on continue d’amener certaines personnes « demeurées » pour leur faire profiter des pouvoirs de guérison ou de soulagement de la débredinoire. À vrai dire, de nos jours, ce sont surtout des personnes souffrant de maux de tête qui se rendent d’elles-mêmes à la débredinoire.

(Jacques Merceron)

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arapède ou bernique

Vous connaissez certainement ce petit mollusque en forme de chapeau chinois, solidement arrimé au rocher (ou à la moule que vous nettoyez!) et qui se nomme selon les régions patelle, arapède, brennig, brenique, bernique, bernicle, bernache, chapeau chinois, jambe, lampote, flie, ormet.

Je ne sais plus comment on le nommait dans mon enfance, sans doute « bernique », … Ce mot – dont la terminaison fait écho à de plus modernes expressions de dépit, ou d’insulte, que je me garderais de citer ici – permet de la même façon de manifester une amère déception : bernique… ! plus trace de ce mot dans le lexique des djeuns !

J’ai découvert à Nice sa soeur, l’arapède – à travers une expression qui m’amuse autant qu’elle me parle : être une arapède, c’est coller à l’autre, péguer, comme le miel sur les doigts, comme un chewing-gum sous une semelle. Un crampon, un vrai pot de colle… en pire : Quelle arapède ! je ne peux pas faire un pas, un geste, sans l’avoir entre les jambes !

Pauvre bernique, pauvre arapède !

(Marilyne Bertoncini)

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Matémédeucheukal :

(transcription phonétique de l’expression mat eo met n’eo ket kalz).

Mes grands-parents et parents parlaient le breton vannetais entre eux – différent du finistérien plus académique – histoire que nos oreilles chastes échappent à leurs conversations. Nous, nous n’avons pas appris la langue, synonyme d’un autre temps dont le progrès en cours devait nous extraire à toute force. Quelques mots, quelques bretonnismes ont migré tout de même dans notre français dûment appris à l’école de la République, coups de règle sur les doigts, tirages d’oreilles et arrêts-piquet en prime.

Matémédeuckeukal est un genre d’oscaladi à la Colette tombé dans mon oreille enfantine. Un jour que nous déjeunions chez des voisins et qu’un grand silence était tombé sur les assiettes du dessert, je m’écriai du haut de mes sept ans : « Matémédeucheukal ! » Je venais de finir mon gâteau avant tout le monde. Grand fou rire de la tablée. Quoi ? Qu’avais-je dit ?

C’est bien plus tard que je compris le sous-entendu grivois de l’expression. En gros : « C’est bon mais c’est court. » Une expression à manier avec précaution donc…

(Marilyse Leroux)

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Palabres :

 le mot français, au genre fluctuant, féminin au singulier et masculin au pluriel, nous est parvenu de l’espagnol palabra, dont le sens est directement issu du latin où il signifiait la parole. Mais le mot espagnol est parvenu d’abord en Afrique noire où il désigne au pluriel, les discussions de sujets concernant la communauté qui se tiennent généralement à l’ombre généreuse d’un arbre. lorsqu’il arrive dans la langue française, ce sens devient second. Prévaut en première place le sens de discussion oiseuse, interminable.

Au Québec, dans les îles de la Madeleine, se rajoute un sens péjoratif, c’est la rumeur infondée, trompeuse.

Ce terme invite à la lenteur, à l’importance du rituel dans l’échange, dans les discussions de toute rencontre communautaire avant la prise de décision.

Douceur du terme aux consonnes labiales prononcées du bout des lèvres, par les lèvres (labbre en italien). On devine presque l’arbre sous lequel elles ont lieu à travers le mot.

Dans le Pacifique, il fait écho à l’usage de la coutume où les communautés procèdent à des rites d’échanges de paroles et de simples présent avant toute discussion en signe de respect mutuel sans souci aucun du temps que ce rituel nécessite.

(Claude Bugeia)

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Varangue : 

Ce terme féminin désigne dans la France ultramarine, une terrasse meublée commune une pièce à vivre, ouverte aux quatre vents à cause de la chaleur tropicale. Le mot est issu du créole réunionnais varang dérivé du malgache varavarana qui désigne les portes et fenêtres et du suédois vrangër où il désigne laquille d’un navire, les côtes d’un vaisseau. Sans doute les varangues sont-elles constituées essentiellement de bois.

Le mot évoque la chaleur tropicale qui nécessite de vivre dans les courants d’air en terrasse, mais aussi les bois tropicaux, les meubles en osier, en pandanus tressé.

Il a dérivé en veranda emprunté à l’anglo-indien que l’on retrouve en français, en italien, en espagnol et en allemand.

On y verrait presque des varans s’y déplacer lentement en bordure ou sur les lambrequins, ces dentelles de bois qui en bordent les toits.

(Claude Bugeia)

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Chouïa :

Voici un mot attesté dans la langue française dès la fin du XIXè siècle. Il est emprunté à l’arabe maghrébin suya au sens de « un peu ». un chouïa de quelque chose a la douceur d’une pâtisserie orientale ou d’un petit chou français. Il agit comme s’il s’agissait d’un diminutif mélioratif que les termes un peu ne rendent pas.

L’expression chouïa chouïa s’entend aussi au sens de doucement. Elle invite à la patience, cette qualité qui vient à manquer dans notre société actuelle.

(Claude Bugeia)

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kaïros :

Allons-nous saisir le Kairos aux cheveux ? καιρὸν ἁρπάζειν, comme on dit en grec…Ce jeune homme qui ne présente qu’une touffe de cheveux sur sa tête ne passe peut-être pas souvent dans le temps d’une vie. Ainsi les Grecs ont-ils distingué dans la langue plusieurs mots pour penser le temps, comme nous disons durée, éternité ou instant. Nous avons pourtant gardé  le mot grec “kairos” pour désigner ce temps très particulier où nous devons prendre une décision, agir et nous engager, faire preuve de discernement, non pas dans le bon “timing” mais en prenant ce kairos vif comme l’éclair, pointe diamantine sur la flèche du temps, point de basculement qui peut changer notre vie. Le kairos ne se traduit pas, il se sent, il se saisit par l’intuition qui est une façon acérée de regarder.

(Albertine Benedetto)

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en écho

Kairos :

un mot lié au temps et à la langue grecque. Faire le bon acte au bon moment. J’adore ce mot qui me fait imaginer et associer. Performatif et synchronicité. Sensation même éphémère que le monde est fait pour nous, nous appartient. Non, j’exagère.  Mais quelque chose comme ça.  Voyager dans le temps et dans l’espace. Découvrir ce que nous pouvons expérimenter du monde à la mesure de ce que nous sommes individuellement, ce qui est forcément très peu mais bien sûr énormément aussi.

Une sensation d’infini se glisse dans chaque paysage rencontré, dans chaque paysage humain, à savoir dans chacun des visages rencontrés. Comme un ré-enchantement du monde.
Ou ne serait-ce que sa possibilité. 

(Louise Brun)

(se) mucher :

Le dictionnaire donne à ce verbe (venu du normano-picard) le sens de cacher, se glisser – il proviendrait du gaulois  *mukyare «cacher», formé sur un radical  d’origine celte (en irlandais, le verbe muchaim signifie «je cache, je voile, j’étouffe», Le verbe musser, usuel jusqu’au 13èmees., disparaît de la lang. littéraire. au xves. au profit du verbe cacher*, mais il s’est maintenu dans de nombreux dialectes…

J’aime personnellement « me mucher » plutôt que me cacher, quand j’ai un peu le cafard, que je souhaite rester seule, être introuvable – on se muche loin du chahut et du chagrin… il y plus de douceur et d’intimité chaude dans la muche que dans la cache : un mot qui chuchote, presque un silence qui tait davantage le lieu (étroit) où l’on vous cherche …chut, je me muche…

(marilyne bertoncini)

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Kyrrd :

Kyrrd… C’est un mot de la langue islandaise, mais je l’ai adopté car nous n’avons pas vraiment d’équivalent en français. 

En fait, ci-dessus je vous l’ai mal écrit.
Il faut l’écrire « kyrrð » avec cette bizarre lettre “d” finale dont la hampe verticale est courbée et barrée. C’est une lettre islandaise qui n’existe pas dans notre alphabet. Elle se prononce un peu comme le th anglais de “there” ou de « that ». Au cœur du mot les deux “r” sont roulés et le mot s’évanouit dans un “thh”long… 
Essayez, c’est assez facile, en fait : « kyrrrthh »… Voilà, vous y êtes. 

« kyrrð », c’est presque intraduisible et c’est pour cela que nous en avons besoin français.
Si vous cherchez ce mot dans un dictionnaire islandais-français, vous trouverez des choses comme « silence » ou « calme », mais ce n’est pas tout à fait cela…
Kyrrð, c’est (si j’ose faire cet emprunt à Lamartine) « Ô temps suspends ton vol … ». 
Kyrrð, c’est un instant de paix, de silence et d’harmonie. C’est ce moment où tu retiens ton souffle pendant l’éternité d’une seconde.
C’est cet instant où tu as peur que quelqu’un rompe le charme en parlant…

Un jour, en balade avec une amie islandaise, nous sommes entrés dans une maison abandonnée depuis longtemps, au fond d’un fjord isolé. Nous étions seuls, nous avons parcouru les pièces de cette maison froide et vide. 
La demeure semblait pleine des murmures silencieux de toutes les personnes qui y avaient vécu, travaillé, souffert, aimé, et qui y avaient fini leur vie. 

J’étais un peu ému et troublé. J’ai voulu dire un mot mais mon amie Islandaise m’a fait signe « chuutt ! » avec son index vertical sur la bouche. Elle a juste dit « kyrrð… » et c’est ce jour-là que j’ai compris le sens de ce mot magique : non, brise pas le charme, non, ne dis rien… 

(Christian Gilabert)

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Stokafitch, tchoutchouka, mouna :

stokafitch  vient de l’anglais stockfish influencé par l’allemand, poisson salé et séché. Comme, enfant, j’avais un appétit d’oiseau, mon grand-père paternel me répétait, chaque fois qu’il me voyait, que j’étais un « véritable stokafitch ».

La tchoutchouka est un plat mijoté à l’huile d’olive aux poivrons, oignons, tomates. Plat du soleil par excellence, il peut se manger chaud, froid, ou en tourte.

Mouna : c’est une brioche de Pâques parfumée à la fleur d’oranger et au zeste de citron, confectionnée avec amour. Nous la partagions avec nos voisins comme eux-mêmes partageaient avec nous les gâteaux de fin du ramadan.

(Anne-Lise Blanchard)

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en écho

Stockfish, stockafitcha, pour moi, c’est le Baccalà

– je l’ai découvert en Italie et, en fait, il devrait bien exister un stocaffisso aussi (il s’agit de deux morues différentes, l’une grise, l’autre blanche, traitées de la même façon, salées et séchées) – et dans le nord de l’Italie, c’est avec le stockfish qu’on prépare le baccalà (accent sur la dernière syllabe), selon une variété de recettes locales, dont l’origine semble venir de Venise.

Le dictionnaire m’apprend que « Baccalà » dérive d’une parole d’origine germanique, bakkel-jau, qui désigne le poisson salé, par analogie avec une corde durcie (premier sens du mot bakel-jau) …

Je ne suis pas fan du baccalà, ni du stockfish, ma culture d’origine tient plus du hareng saur, qu’on nomme aussi gendarme, sans doute parce qu’il est raide comme la loi. (Chez nous, parallèlement au gendarme, on mangeait la tchoutchouka que je n’avais jamais pensé à écrire ainsi – c’est drôle, la tête des mots ! – Mais je la cuisine toujours, car je ne sais pas faire la ratatouille typiquement niçoise – le pli de famille prend le dessus…)

Bref, tout comme j’adore le poème de Charles Cros, à cause du gendarme de mes origines, je suis une inconditionnelle de Paolo Conte, et de sa chanson « Poisson véloce de la Baltique » :

«« Pesce Veloce del Baltico »
dice il menù, che contorno ha?
« Torta di mais » e poi servono
polenta e baccalà
cucina povera e umile
fatta d’ingenuità
caduta nel gorgo perfido
della celebrità
»

(Paolo ContePesce veloce del Baltico)

« Poisson véloce de la Baltique »
dit le menu – on le sert avec quoi ?
« gâteau de maïs » en fait on vous sert
polenta e baccalà
cuisine pauvre et humble
toute de simplicité
tombée dans le gouffre perfide
de la célébrité »

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soler, cuadra, madrugar, trois mots qui n’existent pas en français :

1. Soler : avoir l’habitude de faire quelque chose.
2. Cuadra : c’est l’espace entre deux rues dans un pâté de maison, comme ça je peux compter combien de cuadras il faut parcourir pour aller d’un lieu à l’autre.
3. Madrugar : se lever tôt. « Al que madruga Dios lo ayuda » (voir plus haut « madrugada »)

(Ariel Tonello)

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en écho

soler, madrugar…

Voilà des mots bien utiles pour ma vie : soler, je connais, non le mot, que j’adopte ( il vient directement du latin et en italien, il a donné l’expression qui me permet de dire « sono solita di alzarmi presto« ) ; étant assez routinière, il me correspond bien, et il remplace avantageusement les locutions habituelles. A conjuguer à tous les temps, en français, qu’est-ce que ça donnerait ? Je sole/solais/solerais… lire dès le lever en attendant mon premier café – et d’ailleurs, je madrugue par habitude!

Madruguer, voici le mot tout francisé – la langue dispose de contraires, pour évoquer une vie tournée vers les activités tardives ou nocturnes, avec traînasser, tarder… mais pour madruguer, se lever à l’aurore, à l’aube, se lever tôt, ( « aux petites heures » – le piccole ore, comme dit l’expression qui me vient de l’italien), le français n’a rien encore : Hop, madrugar/madruguer, dans mon escarcelle, avec madrugada!

(mbp)

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Sem pas d’aqui

(aqui prononcé avec une « mouillure », la mouillure et le chuintement sont caractéristiques de l’auvergnat..et du portugais)…me dit le lexique auvergnat que je viens de trouver.

L’auvergnat est un souvenir d’enfance et une langue à laquelle je n’ai pas eu accès ; Pas accès du tout, alors que c’est la langue d’une partie de ma famille, partie de ma famille à laquelle j’ai également, pour des raisons variées, eu peu accès…En cherchant des mots qui me parlaient un peu, j’ai trouvé cette expression dans un lexique auvergnat : Sem pas d’aqui, nous ne sommes pas d’ici. Cela m’a semblé dire quelque chose de mon histoire (ou non histoire) avec la langue auvergnate, et cette partie de la famille. Cela m’a rappelé cette fois où je suis allée en Auvergne et où avoir été accueillie comme « La Parisienne », ce qui enfant m’avait blessée parce que je n’y avais perçu que du rejet. De la différence aussi. Du rejet de la différence, par conséquent.

Puis il y avait eu toute la fête du mariage, ce pour quoi j’étais là et à laquelle je n’avais rien compris car la plupart des gens parlaient auvergnat, sauf moi, et à laquelle je me suis sentie quasi étrangère (Oh bien sûr, l’on m’a également parlé en français, mais il n’empêche). Et de plus à cette époque, je ne savais rien de tout cela, des langues dans ma famille, de pourquoi je me trouvais là à entendre parler une autre langue que celle que je connaissais par des personnes qui a priori étaient de ma famille, mais avec lesquelles je me trouvais sans véritable lien et en difficulté pour communiquer. Je me souviens d’un sentiment de solitude poignant. Exactement comme si j’avais été « celle qui n’est pas d’ici », ce qui était donc vrai aussi.

Dans le récit familial, il a ensuite souvent été question des Auvergnats qui « montaient » à Paris. Plusieurs membres de ma famille ayant fait ce trajet de « migration interne » comme cela m’a été décrit, avec plus ou moins de succès, et une tragédie aussi.  Puis toute cette partie de mon histoire familiale s’est comme éteinte en moi, disparue comme ce cousin qui s’est suicidé à Paris, avant de réapparaître bien des années plus tard, au détour de ma propre histoire. Je me demande maintenant si mon père, qui était auvergnat savait parler cette langue. Et je n’en ai aucune idée. Pourtant nous sommes d’ici, même si nous sommes d’ailleurs aussi. D’ailleurs, ne sommes-nous pas toujours d’ici et d’ailleurs ? Sem d’aqui. Et quelle que soit la langue.

(Louise Brun)

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Ossoko :

Je crois que c’est tout ce que j’ai retenu de la langue camerounaise, lors de mon séjour de quelques mois à Batouri dans l’est.

Cameroun jusqu’à la lisière de la grande forêt, 8 fois la superficie de la France, plus de 300 dialectes.

Je dis Ossoko « merci », mais c’est peut-être Issoko « gratitude », joie de recevoir un cadeau qu’il ne faudra pas rendre, c’est gratuit, totalement donné jamais repris.

C’est une lueur dans la nuit profonde, un vol de martinet au-dessus des eaux troubles de la rivière, c’est un chant sacré fendant le tumulte de la ville.

Ossoko c’est de l’amitié sous les manguiers, des enfants qui rient aux éclats quand gronde le tonnerre, la poussière rouge soulevée au moindre pas quand le poème d’un Bantou s’offre à la piste.

(Muriel Verstichel)

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Niagara, schusselig, schlecht, Palinarus :

Jeune, à Niagara, j’entendais souvent mon père s’exclamer Schusselig, Schlecht! Mon frère et
moi associions ces deux mots avec l’impatience du père et sa passion incompréhensible. Nous
pensions que si nous faisions un mauvais geste, ce schusselig, schlecht, comme la lettre A de
Hester Prynne, nous marquerait à jamais. Association avec l’incompétence, la folie, l’irrationalité.
La rivière Niagara est depuis mon plus jeune âge, mon âme, mon berceau, ma sirène, mon
mystère. Palinurus est entré dans ma conscience à l’âge de seize ans. J’étudiais les poèmes de
Virgile. Captivée par le grand métatexte qui s’imposait au récit, j’ai tenté de comprendre la chute
de Palinurus. J’ai lu The Unquiet Grave de Cyril Connolly. J’avais du mal avec les liens entre la
théologie chrétienne et l’apparition de Palinurus aux Enfers. En bref, Palinurus et son monde
complexe m’ont séduite. Palinurus, Niagara, le père fougueux ont tous joué un rôle déterminant
dans mon exploration du langage.

Palinurus à Niagara

Niagara, Niagara, le sang coule dans les rapides, Palinurus y est tombé, il ne sait pas nager, Niagara, Niagara, tes eaux turquoise l’ont noyé, schusselig, schlecht, je ne t’ai pas sauvé, penchée sur les rapides, Niagara, Niagara, schusselig, schlecht, ta fille n’a pas d’ailes, elle se courbe, elle veut te toucher, te voir de près, comme Palinurus par une nuit d’étoiles filantes, par une nuit d’explosions de cœur, tendre nuit de noyade, Palinurus enchanté, Palinurus emporté, amoureux de mystère et de mélodies étranges, compagnon d’une petite fille schusselig, amoureuse des eaux turquoise, impitoyables et effrénées, disparue par une nuit claire quand sonnaient les cloches de Niagara.

Andrea Moorhead

Les Somnifères des dieux

Palinurus1…le mystère de sa disparition…il a fallu un voyage aux Enfers pour parler avec lui…je me demande si, lui aussi, il était schusselig ou si c’est vrai que les dieux lui ont enchanté…les somnifères des dieux sont puissants et on ne sait jamais dans quel but ils nous font endormir… Ou est-ce que l’océan l’a happé, lui a jeté du sel dans les yeux, tiré sur son corps au point qu’il a sauté de la proue multicolore pour se débarrasser du joug lourd de sa responsabilité, tendre cœur pleurant qui a voulu retrouver le vide ? Palinurus…hantise et écho, disparition sans bruit. Tout ce qui nous reste de son passage c’est l’Abendsonnenshein, la lumière délicate à la fin de la vie.

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L’Échelle des rêves

Schusselig, fais attention ! l’échelle va glisser ! et la gouttière dans mes mains ensanglantés je tomberai, schusselig, fais attention, le robinet coule, l’eau déborde l’évier, schusselig, la journée passe et nous avec…ton sourire, ta voix impériale, visage de patriarche dépaysé…mince et rebelle, la forme d’un arbre prêt à s’envoler vers les nuages, petite fille schusselig qui rêve dans l’Abendsonnenshein, lumière dorée et suave de fin de journée, lumière de miel et de regret, lumière de mille promesses, nuit et jour, jour et nuit, lumière de ton cœur qui se répand sur une petite fille schusselig qui ne veut que monter l’échelle avec toi sous la pluie neigeuse et retrouver l’extase des espaces vastes et purs.

(Andrea Moorhead)

  1. – Palinarus était le barreur du navire d’Enée, dans le récit de l‘Enéide de Virigile, il mourut noyé. ↩︎

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Lull/luz, estèné :

1.

Deux mots me viennent à l’esprit : l’anglais lull (accalmie) et l’espagnol luz (lumière).

J’ai rencontré le substantif lull dans une nouvelle de Georges Orwell, « Shooting an Elephant », une violente critique du colonialisme à Burma. Le mot n’avait selon moi aucun sens dans ce récit terrible. Voyez l’étymologie : Du moyen anglais lullen, lollen. À l’origine, peut-être expressif des sons la-la-la ou lu-lu-lu émis pour calmer un enfant comparable au finnois laulaa (chanter) et à l’hiligaynon lala (chanter une berceuse).

La luz me transporte toujours aux vacances de mon enfance à la Costa Brava. Le mot fusait dans l’air et ponctuait les routes : punta de la luz, villa de la luz, hotel de la luz, playa de la luz, etc.

Je note que ces deux mots commencent par la lettre L, qui nous renvoie au la-la-la de la petite enfance et, clin d’œil, à la langue de Jacques Lacan. Voici, en chassé-croisé, une salade de langues :

Tour de passe passe
.Lulled by the night’s lingering breath, the city
hibernates. Sucking wind at your face, you skirt
the creek. Follow the trickle of bruises the light leaves
in its wake. You take the path down to
the bridge, the no-sun enfolded in fog.

.
Arrullada por el difuso aliento nocturno, la ciudad
hiberna. Aspirando el viento en la cara, bordeas
el arroyo. Sigue el reguero de magulladuras que la luz
deja a su paso. Tomas el camino que baja hacia 
el puente, el no-sol envuelto en la niebla.

.

Bercée par le souffle de la nuit, la ville
hiberne. Le vent dans le dos, tu longes
le ruisseau. Suis le filet de bleus que la lumière
laisse dans son sillage. Tu prends le sentier qui dévale
au pont, au non-soleil enveloppé de brouillard.

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2.

Un mot que j’affectionne particulièrement me vient du wallon liégeois. Il s’agit de l’adjectif estèné, qui désigne l’état confus de qui vient de recevoir un choc et qui, à mon oreille, se prête à un jeu de mot littéral esté né/est né. Je le fais danser sur les pavés, arrosé de pèquêt – un alcool blanc du terroir:

Fête au village

Le temps tournoie derrière le soleil. Bondit
dadais danseur estèné. S’trèboule so l’pavèye,
s’tape à rire avou l’pèquêt comme un gosse.

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3.

Sans titre

En tant qu’étrangère en terre australe, je hais le mot migration [maɪˈɡreɪʃən] qui désigne the act of people moving from one place to another et qui signifie assimilation et intégration. Le mot migre bien : migrazione, migración, αποδημία, migracija, migrace, migratie, migracja, міграція… ou moins bien : sự di trú en, göç, هِجْرَة.  Dans ce cas, migration [maɪˈɡreɪʃən] fait écho à vacation qui lui-même fait taire poliment expulsion.

(Dominique Hecq – Belgique/Australie)

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6

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tcharafi, menuaille :

un message de Laurence au collectif, ce matin : « Grand nettoyage de printemps aux Diables : viens débarrasser tes affaires et celles des autres, les tcharafis en tout genre, viens nettoyer pour y voir clair ! »

Et voilà, j’avais oublié l’importance dans mon lexique du mot « tcharafi », qui désigne selon le dictionnaire un objet usé, de peu de valeur, qui fonctionne mal (et par extension péjorative, une personne négligée ou infréquentable) – Je découvre que ce mot – que je n’avais jamais rencontré avant d’arriver à Nice – est bien attesté comme terme français, en occitan-provençal – et qu’il dérive du piémontais  ciarafi : Menuailles, choses de rebut, colifichets, vieilleries, haillons, vieux meubles, embarras, nippes, brimborions …

J’ignorais aussi l’existence du mot « menuaille » (dérivé de l’encombrante, sonnante menue monnaie qui disparait avec l’emploi de plus en plus diffus de la carte bancaire) – mais ce tcharafi qui danse sur la pointe de sa deuxième syllabe, comme dans un balletti les jupons qui volent au son des fifres et des tambourins, au-dessus des jambes déliées des ballerines en costume traditionnel, je l’aime – il m’évoque le désordre en froufrou, le cumul des dentelles, des boutons, des mille petits objets dont on ne se sépare qu’à regret (ça peut toujours servir) et qui nous sont de manque dès qu’on ne les a plus. Le problème du tcharafi, c’est qu’il est envahissant, et taquin : il planque les brimborions dont on aurait besoin, cumule les vieilleries dot on ignore si elles fonctionnent encore, à quoi, à qui, elle pouvaient bien servir…

Il y a toute une poésie du tcharafi, qui se dévoile sur les vide-greniers, où vendeurs et chineurs échangent objets et savoirs : étalé au ras-du-sol, tout un univers de bric et de broc, un bric-à-brac attend les rêveurs, prêt à mouvoir un univers de souvenirs et d’émotions – et peut-être l’écriture.

(Marilyne Bertoncini)

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en écho

le vide-grenier :

Sur le pré les maisons se débondent et dévoilent la face obscure des greniers.
Verres sans éclat, services dépareillés sont la mémoire trouée des familles. Quels drames joués autour de ces poupées, de ces dînettes ? Objets inanimés, exposés sans pudeur, ils ne disent plus rien des combats de la chair. Pauvres restes alignés sur des tables de fortune, ossuaire où manquent les noms. Restes exhumés, mis à l’encan comme une pacotille sans gloire, privés de châsses pour rehausser leur mystère et émouvoir la foi, livrés aux mains curieuses du chaland.
Dans le bourdonnement joyeux du pré, qui parle de profanation ?
(Albertine Benedetto, « Vide-grenier 1 » in Le Présent des bêtes)

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Javan mard

J’aimerais parler d’un mot qui vient de ma langue maternelle, le persan. Un mot que je trouve absolument nécessaire pour désigner une réalité mais je n’en trouve pas d’équivalent dans les autres langues que je connais. C’est bien le mot : Javan mard
Javan mard étant composé des deux termes de javan (jeune) et de mard (homme) signifie littéralement « jeune homme ». Mais, il s’agit également d’un nom et d’un adjectif plutôt traduits comme « généreux, courageux, héroïque, libéral, homme de cœur, homme de bien ». En effet, un javanmard possède toutes ces qualités à la fois.
Dans les anciens textes de la littérature iranienne, l’un des exemples les plus marqués de javanmardi (l’acte des javanmard) concerne les sportifs de combat (notamment la lutte) qui laissaient volontairement leurs adversaires les battre quand ils trouvaient cela plus juste et par souci de ne pas voir l’indignation d’une personne qu’ils trouvaient dans une position de faiblesse.
Parmi les textes plus récents, un exemple de cette notion de javanmardi qui est très connu et dont j’aimerais parler ici, concerne le poème politique « zemestan : hiver » écrit en 1956 par Mehdi Akhavan-Sales (1928-1990) :


Ils ne veulent pas répondre à ta salutation
Les têtes sont dans les collets
……

Il fait froid de manière si « najavanmardaneh : adverbe négatif relatif à javanmardi »

M ais, ces dernières années, c’est davantage pendant la période de la chaleur où résonne dans ma tête : « Il fait injustement chaud ! ». Une chaleur qui brûle cette fois-ci par sa vraie origine humaine, contrairement aux hivers glaçants de l’époque du poète !

(Fatemeh Bahrani)

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Kefi et meraki

voici 2 mots grecs qui n’ont pas d’équivalent en français:

KEFI: un état psychique très gai, presque un état d’ébriété (sans forcément avoir bu), qui déclenche chez la personne un fort désir de danser, de chanter,  de participer dans une ambiance festive. On trouve ça souvent dans les tavernes grecques …

MERAKI: un état d’esprit dans lequel on veut bien faire les choses, on s’applique dans son art, dans son métier, on accompli les taches avec amour et avec de l’âme, ce qui rend son métier pas un travail mais tout une manière de vivre. MERAKLIS est celui qui fait bien son travail, avec amour, mais qui en même temps sait bien vivre.

(Christina, La Fabrique des mirages)