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10- Bruno Marguerite, Marc-Henri Arfeux, Martine Morillon-Carreau, Michel Dunand, Jean-Michel Sananes, Jean Blanchet, Carole Mesrobian, Françoise Coulmin.

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Cette nuit

Bruno Marguerite

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Cette nuit, celle qui vient de passer, longue, changeante comme les pluies d’Amazonie, cette nuit m’a renvoyé au fond des anciens hommes.

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J’ai voyagé sur les horizons pour aller plus vite. En quelques heures, j’étais dans les marécages. Des centaines de petits êtres discutaient dans le vide comme des enfants. Ils riaient, ils chantaient, ils s’amusaient parfois à jeter des vagues sur les adultes.

Les adultes craignent les enfants. Si une vague jetée par un enfant atteint un adulte, celui-ci se transformera en statue de sable.

J’ai promis d’y réfléchir.

À mon dernier voyage, il y avait deux lunes, aujourd’hui il y en a trois.

La lune est indispensable. Elle m’aide à voyager.

Un des enfants dit m’avoir reconnu. Il ne doit pas faire plus de 10 cm.

L’enfant voudrait me parler. Au moment où il se décide à ouvrir la bouche, les cloches de la ville sonnent. Tout le monde se précipite. Mon enfant à moi, lui, ne bouge pas. Il me dit que je suis son père. C’est la première fois que je voyage autour de lui. La lune, la plus bénéfique des lunes, n’est pas très loin. En deux heures de temps nous y sommes.

Il me présente sa mère. Sa mère est belle, elle a de longues ailes translucides sur le dos. Elle me demande où sont mes ailes. Pour ne pas répondre, je m’échappe par la fenêtre. Le petit enfant m’accompagne. Le cheval que nous avons pris dans l’écurie, est le plus rapide de tous. Nous retraversons des marécages, des océans, parfois des galaxies, des galaxies si petites, que mon petit compagnon n’a aucune idée de leur existence. Quand nous sommes arrivés à la maison, Mireille a fermé les yeux pour signifier qu’il n’y avait pas de place pour le petit être.

Alors je me suis retourné vers lui, mais il avait disparu. En me jetant sur l’horizon une fois de plus, j’ai eu à peine le temps de l’apercevoir. Il s’agrippait au cou du cheval jusqu’à ce qu’il s’endorme.

J’ai sauté à mon tour sur l’horizon, violet comme nos pluies d’été.

J’ai essayé de rattraper mon petit être, en vain. Il m’a dit une fois de plus que j’étais son père. Sans doute. Peut-être. Comment savoir ces choses-là ? Comment reconnaître le bon chemin ? Je me suis assis sur une corde tendue entre une galaxie et une autre. J’ai eu à peine le temps de voir le jour se lever. J’ai vu des fleurs danser dans les pots et sur les peaux. J’ai vu les arbres se secouer. J’ai vu des chats se rouler dans la terre.

Je crois avoir encore un peu de temps, je vais m’allonger, je vais penser à ma nuit. Les nuits blanches restent blanches. C’est ainsi tous les matins.

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Né en 1957 à Paris, Bruno Marguerite se forme comme typographe.
À 15 ans il découvre la lecture et commence immédiatement l’écriture de poésies, nouvelles et romans. À 37 ans, il réalise un de ses rêves, passer un bac littéraire et suivre des études de lettres à la Sorbonne. Il ira jusqu’en maîtrise. Son univers littéraire tient à une seule chose : la fiction.

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Marc-Henri Arfeux

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Ce que te dit la nuit demeure silence

Entre elle et toi

Comme un regard ou un anneau

Doublement échangé.

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La nuit te peuple de cristaux

Qui ressemblent à la source

Où rose, oiseau, homme et fourmi

Ont leur image natale

Gantée de songe.

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Tu nages dans l’arbre de l’obscur

Ainsi qu’un sang d’amour

Qui ne connaît l’aimée de son voyage

Mais la regarde en soi

Pencher sa tiédeur nue

Et lui verser les talismans de son inverse.

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Rouge est la nuit de la blancheur.

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Marc-Henri Arfeux est né à Lyon le 24 février 1962. Docteur en lettres modernes, il enseigne la philosophie à Lyon. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans les domaines de la poésie, du récit et de l’essai. Il collabore régulièrement avec les revues Terre à Ciel et Rumeurs. Il est également peintre et compositeur de musique électroacoustique.

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les cristaux de la nuit – création numérique – mbp

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Nuit blues

Martine Morillon-Carreau

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Toujours à guetter tu le sais

mais ceci reçu est-ce bien

toi qui guettes – et quoi –

ou plutôt cette

nuit blanche

bleue pour plus de justesse et si

blues

qu’on la croirait noire

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Elle

sans fin qui sait

à guetter tisser – toile ténue du temps labyrinthe –

tant de chemins de soie

sombres irrémédiablement oh

– jusqu’ à te faire battre la campagne –

comme qui dirait chemins forestiers

chemins de nulle part

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Et pourtant écoute on entend

la nuit sa musique

le silence – quel doux étrange en sourdine Oh Lord Blues

basse obstinée pour quelques lueurs

qui feraient peut-être signe au ciel du monde

non pas ici maintenant ciel sur ta tête mais

ailleurs comme sûrement plus tard – avant aussi sans doute –

entre étoiles et lucioles…

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Martine Morillon-Carreau, née à Nantes, part travailler huit ans à la Martinique après une Maîtrise de Droit. Agrégée de lettres, elle a enseigné en lycée et à la Faculté de Droit de Nantes. Présidente de l’Association Poésie/ première depuis 2015, membre de la Direction de Rédaction Collective (DRC) de cette revue depuis 2014, collaboratrice de Sac à mots édition et rédactrice à la Revue 7 à dire, elle est poète, haïkiste, (haïjin) conférencière, nouvelliste et romancière et avant tout passeuse de poésie.

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Nuit pascale à Sissi

Michel DUNAND

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Ne pas être éternellement en retard d’un miracle.

Aucun pétard n’a pu me sortir de mon lit, hier après le repas du soir. J’ai préféré le confort de l’hôtel à la nuit fraîche, éclaboussée comme un grand champ de fleurs de lumière. Au réveil, ce matin, je n’ai pu que constater les nombreux dégâts. Confettis, serpentins. Je passe…

Sissi.

Crète.

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Je ne connais pas de meilleur endroit pour voir, immanquablement, brûler à feu doux la ville, à la tombée du jour, avant de disparaître avec elle aussi, la nuit venue, que ces jardins, peuplés de statues, ces allées. La terrasse où je vagabonde

avec ce poème.

Le Pincio.

Rome.

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Michel DUNAND poète né et vivant à Annecy où il dirige la Maison de la Poésie qu’il a fondée en 2007. Récentes publications : Mes orients, Jacques André éditeur, 2020.,Rawa-Ruska, le camp de la soif, Voix d’encre, 2021, Dernières nouvelles de la nuit et autres poèmes (1980-1993). Peintures : Marc Limousin. Le Petit Véhicule, 2019.

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photo mbp

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Là où les nuits bavardent

Jean-Michel Sananes

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Là où les nuits bavardent,
l’insomnie des mémoires ouvre des douleurs d’azur,
parfois j’en exhume un pays qui croise mon enfance,
des ténèbres, déjà y agitent mes ombres,
qu’y fais-tu mon père quand je cherche la frontière ?
Je suis mon intime étranger,
je me regarde avec une inquiétude  familière,
je me reprends dans le miroir
répercuté par un écho d’images que je n’habite plus.
J’y sonde la parole désarticulée du silence,
les mensonges m’interrogent,
qu’ai-je dit des mots à dire et à vivre ?
Non, je n’ai rien dit, seul le poème a parlé,
mais habite-t-on le poème ?
Qui suis-je hors du poème ?
Je piétine une feuille blanche qui cherche sa source,
poussière et vide en sursis, j’habite l’instant.
Mais déjà, déjà, déjà,
je ne suis qu’un reflet de présent qui s’efface.

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Jean-Michel Sananès est poète et directeur des Editions  Chemins de Plume. Il est également dramaturge et metteur en scène. On retrouve ses publications aux Editions Chemin de Plumes. Il est l’organisateur de “L’Ile aux poètes” au festival du  livre de Nice.

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Sous l’Emprise…

Jean Blanchet

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La nuit dépose petit-à-petit son collier de brillant sur le ciel de la terre du levant. Les esprits sont sous l’emprise de la nuit et avec elle un étrange sentiment indéfinissable les submergent. La lune se lève sur un océan miroir, un croissant de lumière se dresse sur une terre devenue obscure.

        A y regarder de plus près, les sons du sommeil illustrent les rêves des êtres. La nuit est comme un regard vers un vaste infini et le froid glace les senteurs de la vie.

        En dessous de l’infini, le chant des inconscient se fait fête dans le songe des esprits. Le vent envoie ses nuages et les ombres jouent avec la pluie, ils fredonnent un temps, une vague déferlante sur les rues du pays.

        Écoutez le cœur, le cœur de la terre, il rythme le temps sur ce futur aux esprits pour gagner la confiance de l’âme, au beau milieu de l’emprise de l’ombre qui s’est mû petit-à-petit.

        Aucun ange, aucun bruit, aucun rire, aucune vie, la nuit s’impose au sein des esprits, où c’est dans les rêves qu’ils se sont réunis.

        Sous le joug des sentiments, dorment les grandes idées comme stagnantes dans le vide, la nuit se fait vive comme l’univers, remplie de brillants, petites sources de vie.

        Le vent se fait tendre et reprise le temps, un temps meurtrit qui attendait le repos.

        Les esprits voyagent, franchissant les mondes, les inconscients s’invitent à la fête de minuit mais les vivants dansent un sentiment de l’oubli. Pas de chance pour les dieux, ils ne peuvent plus souffler des chemins, c’est dans l’inconscient que les esprit apprennent comme les étoiles en leur nombre dispersé dans le cosmos.

        C’est dans l’inconscient que les dieux vivent. Les coeurs des enfants rythment le matin dans l’obscurité. Déjà la lune est partie et le regard de l’esprit en attendant le levant, devine la fin de la nuit quand un rire de l’enfant, annonce un jour nouveau, timide et plutôt lent.

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Jean Blanchet, né le 25 juin 1974 à Nice passionné, appliqué et minutieux. issu d’une formation technologique, je pratique à la fois sports et arts plastiques regrettant de ne pas avoir eu cette possibilité de l’informatique Après un difficile parcours vain c’est dans les arts que je me suis
réfugié, échoué seul où je pense que pour diversifier les choses, ce sont les influences culturelles que l’on acquiert qui font la différence.

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Carole Carcillo Mesrobian

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Dans la condensation du silence

Une épaisseur de souche lente éventée par endroit

Laisse émerger les étoiles

Ta trace ne fait pas de bruit

Parce que ton ombre a disparu

Peu à peu effacée

par l’espace naufragé dans une mer d’encre

aucun temps ne révèle encore sa lumière

et demain dans le feu éteint du crépuscule

ressemble aux souvenirs

pliés dans des images que l’eau d’un songe allonge

jusqu’au loin de tes yeux qui s’effacent

démunis

par la simplicité de l’oubli

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Carole Carcillo Mesrobian est poète, critique littéraire, revuiste, performeuse, éditrice, productrice. Elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secrétaire générale des éditions Transignum et gère le site La Multinationale poétique depuis 2019.

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Soir naufragé – photo mbp

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Françoise Coulmin

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Françoise COULMIN, Normandie. Fut peintre et géographe. Poète 21 recueils, dont 1 pour enfants, 4 anthologies de poètes contemporains. Figure dans plus de 75 anthologies et revues (papier, en ligne, Fr, étranger). Collabore avec plasticiens et compositeurs. Traduite en plusieurs langues.Prix international Antonio Vicario pour l’ensemble de son œuvre.