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Dominique Boudou – Jean-Charles Paillet (peinture sur galet) – Réni Koleva (Bulgarie) – Christophe Eloy (photo mbp) – Stefan Strazzabosco (Italie) – Susy Desrosiers (Québec) – Marilyne Bertoncini (poème et photos) – Dorothée Coll – Anne Soy – Yannick Resch –

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Dominique Boudou

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Les mots souvent me tombent des mains

Aucune lumière ne les traverse

Ils sont à jeter comme des pelures mitées

Et les insectes morts sous les pierres des jardins

J’exerce la patience du rêveur

Au fil des eaux troubles

Du chercheur de lignes sur les tapisseries

Dans les chambres où vont des mélancolies

Je sais que les mots reviendront dans mon corps

A fleur de peau à fleur de sang

En plis en déplis blancs ocre noirs

Liquides et minéraux suints et caillots

Ils connaissent ma peur des tumultes

Quand le ciel ne tient pas debout

Quand des chimères soulèvent les rivières

Où chancelaient mes enfances

Comment écouter leurs signes

Et retenir sur la page un peu de matière

Quel envol pourront-ils prendre

Vers le très bas et le très haut

Pour dire quoi de nos empêchements

Les mêmes depuis le premier homme

Et cette ignorance qui nous piétine

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Dominique Boudou a reçu le prix Georges Bonnet 2023 pour son recueil Choses revues dans Bordeaux et ailleurs aux éditions Aux cailloux des chemins. A paraître : Mis pasos son mis versos / Mes pas sont mes vers aux éditions Tarmac.

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Jean-Charles Paillet

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Jean-Charles Paillet est animé par l’instant présent et les belles valeurs qui élèvent le cœur et
l’âme. Sa poésie se retrouve dans ses dessins, ses photographies et ses chansons. Sa rencontre avec Yves
Broussard est un tournant dans sa vie de poète…

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Réni Koleva

A la Pierre Soulages

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Le ciel crache ses étoiles

écœuré de tant de pathos

emballe la lune dans les nuages opaques

se délecte du noir profond

velours doux d’un bouvard

imbibé de l’encre de l’univers.

Dans cette noirceur

une étoile germe

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Réni KOLEVA – autrice d’origine bulgare, orthophoniste et sophrologue de profession. Elle habite dans l’Ain et écrit en français. Sous sa plume sont sortis : Orpailleur de mes jours(recueil de poésie), L’Evasion(nouvelles), Les murmures d’un attrape-rêves(recueil de poésie), A l’Aube(recueil de poésie)

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Christophe Eloy

Évanescence

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Toutes ces pensées  fugaces, à peine perceptibles, fugitives, évanescentes, ça ne va pas du tout. Il faudra bien qu’un jour, je les capture. Elles vont par deux. Elles surgissent chacune de leur côté. D’où ? Je ne le sais pas, sans doute, d’aucun lieu assignable, mais il y a une correspondance secrète entre elles, sitôt apparue, aussitôt disparue. Et même, elles ne semblent exister que par cette mise en relation. D’ailleurs apparaissent-elles véritablement ; à leur propos, puis-je parler d’apparition ? Il faudra qu’un jour, elles me donnent une preuve tangible de leur existence, qu’elles sont bien dans un rapport quelconque avec la réalité.

Je leur cours après depuis tant d’années, mais rien n’y fait, elles m’échappent encore et toujours. Dans ma quête, il doit y avoir cette idée – cette mise en relation déclenchera en moi une réaction en chaîne, une énergie mystérieuse phénoménale, une conscience hors du commun, un éblouissement de tous les instants.

Peut-être, faut-il atteindre un certain degré de sagesse pour parvenir à fixer dans la mémoire leur relation, ne serait-ce qu’une toute petite demi-seconde.

Et être alors en mesure de se saisir de deux pensées prises aléatoirement dans des  coins opposés de l’univers pour, dans une intuition fulgurante, créer un lien nécessaire entre ces deux idées a priori tout à fait étrangère l’une à l’autre.

Et reproduire à l’infini cette expérience. Ce doit être quelque chose comme ça qu’on appelle Illumination. La fin de l’ignorance.

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Somnolence

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Dans des états de semi-conscience, des pensées surgissent avec une telle rapidité que vous ne pouvez pas les saisir.
Comme si elles étaient la vitesse même dans laquelle elles apparaissent.

Un peu comme ces bulles, dans des états plus éveillés où l’idée qu’elles contiennent éclate avec elles et nous laisse dans un sentiment d’oubli et de vide.

Mais là, le sens affleure à peine sur ces pensées tellement immédiates qu’elles ne produisent pas même de perception. Mais des sortes d’associations où toutes pourraient faire lien les unes avec les autres, où toutes fusionneraient dans tout.

C’est récent pour moi, cette conscience d’un phénomène quasi-mystique.

Une idée ne chasserait plus celle d’avant. La machine à séquencer s’arrêterait un court instant. Tout pourrait devenir simultanéité

Comme un photon qui redeviendrait proton en se rechargeant de matière, il suffirait que ces évanescences de pensée arrachent un peu plus de spiritualité, un peu plus de sens – rien qu’un peu – pour que l’une fasse aussitôt lien avec celle antérieure, s’emboîte à la perfection avec cette première et les suivantes, de même, à l’infini, pour refaire l’unité.

Alors le monde vous appartiendrait, comme un monde de rêves qui se laisserait déchiffrer instantanément, Un monde qui se dilaterait hors de toute mesure. Une expansion sans fin

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Christophe Eloy est né à Paris en 1956, il a publié divers recueils de poésie et de nouvelles à Pense-bête associés. Il anime un blog éloge de la mollesse. Il a également publié des textes dans Capital des mots et la revue l’Éponge.

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Nuit de l’âme – art numérique – mbp

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Stefano Strazzabosco

Discorso della materia oscura

Materia oscura, madre

delle galassie e della luce

ultravioletta che traluce il cosmo,

ingravida matrice della mente

che ci ha pensati infinitesimali,

dell’occhio che ci vede e che ci segue

ovunque, come il cuore

della mamma per Kant

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Irrevocabile nulla

che cresci dentro il grembo delle cose

germogliate da te, di negazione

in negazione fino all’anti-mondo, nell’umida

cella-cantina dello spazio immenso

in cui la luna è solo un piccolissimo

granellino in un pozzo

che trabocca di buio

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Madre del niente,

di quello che non è, non sarà mai,

che non è stato e non potrebbe neanche

in nessun modo esistere, nemmeno

se fosse il niente stesso ad annientarlo,

annichilirlo, totalmente annullarlo

senza nessuna storia, nessun vento

che soffi in direzione del futuro

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Scaturigine nera, mia voragine,

terra infertile e arsa,

dura, che non si zappa e non si ara,

inverno congelato in primavera,

landa di sterpi e di sarmenti secchi,

codicillo o incunabolo

di fogli muti, lacerati e morti,

penna che scrive e poi cancella e stralcia

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Io sono qui

partoriscimi crescimi

fammi essere te

dammi la sorte di cadere in te

come un seme nel niente

dentro al tuo grembo sterile

per tutti gli anni che hai abortito in seno

per il tuo lungo, assiduo venir meno

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Discours sur la matière noire

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Matière noire, mère

des galaxies et de l’ultra-violet

qui rayonne dans le cosmos,

matrice féconde de l’esprit

qui nous a pensés infinitésimaux,

de l’oeil qui nous voit et nous suit

partout, comme le coeur

de la mère de Kant

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Irrévocable néant

qui grandit au sein des choses

germant de toi, de négation

en négation jusqu’à l’anti-monde, dans l’humide

cellule-cave de l’espace immense

où  la lune n’est qu’un minuscule

grain dans un puits

débordant de nuit

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Mère du rien,

de ce qui n’est pas, ne sera jamais,

de ce qui ne fut pas et ne pourrait même,

en aucune manière, exister, pas même

si le rien lui-même l’anéantissait,

l’annihilait, l’annulait totalement

sans nulle histoire, nul souffle

dirigé vers le futur

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Origine noire, mon gouffre,

Terre infertile et calcinée,

dure, qu’on ne peut ni sarcler ni labourer,

hiver congelé au printemps,

lande de ronces et sarments desséchés,

codicille ou incunable

de feuilles de silence mortes et déchirées

stylo qui écrit puis efface et supprime

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Moi, je suis là

Enfante-moi, élève-moi

Fais-moi devenir toi

Que mon destin par toi soit de de tomber en toi

comme semence dans le néant

dans ton ventre stérile

pour toutes les années avortées en ton sein

pour ta longue, assidue défaillance.

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Trad. Marilyne Bertoncini

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Stefano Strazzabosco, (1964) a publié divers recueils de poésie, un monologue théâtral, Tina, Masque, sur Tina Modotti, et des essais. Il s’est occupé d’anthologie et traduit de la poésie de l’espagnol et de l’anglais. Il vit à Vicenza (italie) et à Mexico.

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Susy Desrosiers

La bête noire

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avalée par un ver d’oreille
prisonnière de mes soupirs
je m’enfonce dans la tourmente
me noie dans mes zones sinistrées
un branle-bas de combat d’utopies    de chimères
bien enfouies entre éden et géhenne

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je traîne sur les bermes du délire passager
entre les souvenirs effilochés
et les trous de mémoire

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armée de paroles désarticulées
je monte aux barricades
au cœur de l’abysse
je déniche des mots insipides
aux sons disloqués
pour clamer ma poésie

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vaincue par l’envahisseur    la bête noire
mes rengaines tailladées à mort
je rends les armes

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à pas de loup
pour n’éveiller aucun soupçon
j’abandonne ma tête folle
je fuis à perte de vue
pour incarner des chairs inconnues
courtiser une nouvelle muse

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Susy Desrosiers, Auteure de théâtre et de poésie habitant dans la région du Centre-du-Québec, au Canada. Quelques-uns de ses textes sont publiés dans des revues et des collectifs québécois et internationaux. Elle est la grande gagnante du Prix national de poésie pour les aînés 2021.

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Marilyne Bertoncini

C’est de l’eau que naît la nuit

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C’est de l’eau que naît la nuit

une eau trouble comme la tourbe

bitume moiré comme la mémoire

du monde

et lourde de toutes les peines

des hommes

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C’est de l’eau que naît la nuit

dans le miroir en reflets de mercure

d’un monde désolé

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La nuit lentement sèche ses ailes

qui frémissent

et lentement secouent l’eau qui s’égoutte

en plainte de ruisseau

plainte sans cause

sans mots

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le rauque chant de la nuit

pleure alors les étoiles

mortes

en brume grise sur les eaux

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et la nuit lentement déploie ses ailes immenses

et plane sur le monde qu’elle couvre d’effroi

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C’est de l’eau que naît la nuit

où tout retourne et se confond

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Marilyne Bertoncini, poète, traductrice, revuiste, créatrice et animatrice du site jeudidesmots/embarquement poétique. Dernières publications : Il Libro di Sabbia (Bertoni ed. italie, 2022), Damnation Memoriae (avec les photos de Florence Daudé, Le Petit Véhicule, 2023), Scatti di Luce/Instantanés de lumière, avec Alma Saporito, photos de Francesco Gallieri, PVST ? 2023)

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Dorothée Coll

Les geôles de la mémoire

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Je viendrai un soir

Jeter ses mots sur ta fenêtre

Parsemer ta nuit de ses sorts

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J’ouvrirai alors

La grille du puits de l’oubli

Pour en libérer son fantôme

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Et par le soupirail

Ensuite

Je m’enfuirai

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Jusqu’à la fin il hantera

Les étoiles de ton sommeil

Sa voix comme un refrain

Un souffle

Jalousé par le vent

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Tantôt sorcier indien

Aux yeux dévorés par un aigle

Tantôt mage blanc

Ruisselant de cheveux d’écume

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Il sera celui

Qui convoque le silence

Avance sans peur

Insatiable

Peuplant le désert de ta vie

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Toujours présent

Dans les geôles de ta mémoire

Cette pénombre

Où l’on dissimule les trésors

Dont l’éclat nous aveuglerait.

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Dorothée Coll vit en Corse où elle trouve son inspiration. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes. Le dernier, « Terre d’accueil », dédié à son île d’adoption vient de paraître aux éditions Fabulla.

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Anne Soy

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Et cette douleur

à ne plus savoir où

appuyer son corps mou

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les mots brûlent les yeux

le brouillard se répand à l’intérieur

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les os deviennent fluides

le muscle flaque

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le cœur en bouillie

s’éparpille

dans un espace étranger

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plus rien n’existe

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Que la douleur

à ne plus savoir où

appuyer son corps mou

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extrait du recueil « Approche le rivage » paru en 2023 aux éditions Encretoile

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Anne Soy, lyonnaise de naissance, est annécienne d’adoption. Ses premiers poèmes ont  parus dans la Revue Verso où elle publie encore régulièrement. Elle participe à l’Espace Pandora, au Jeudi des Mots, aux émissions de radio Semnoz « Poésie en pays de Savoie ».  Elle a publié son premier recueil de poésie « Dans le fracas du monde » aux Éditions Polyptyque en septembre 2020 puis « Approche le rivage » aux éditions Encretoile en mai 2023.

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Yannick Resch

L’ébauche du poème

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ces signes d’encre

sur la page

la  première ligne

qui se lâche

les mots qui se pressent

s’ajoutent  se répètent

comme soulevés

par une vague

venue de loin

qui avance

et se brise

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éclats d’écume

réfractés

à travers le regard

bribes de pensées

d’émotions

échappées

des brèches du rêve

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ne serait-ce pas

issu du plus obscur

de soi

l’ébauche du poème ?

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Yannick Resch vit à Aix-en-Provence, elle est l’auteure de plusieurs recueils de poésie  d’essais biographiques sur  Colette, l’histoire des femmes et le poète Gaston Miron. Elle anime des réunions poétiques et participe à des jury de poésie

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