photo : mbp

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Marc-Henri Arfeux, Charles Akopian, Nina Kossman (Russie-USA), Fahredin Shehu (Kosovo), Pankhuri Sinha (Inde), Grégory Rateau, Patrick Williamson (GB-France)

Par l’abandon des vitres nues,

Par l’insistance de l’horizon fendu en deux,
Perdant tous ses chevaux
Et ses baisers de graminées,
Par les matins dilapidés comme la poussière,
La longue flagellation des roses
Qui se souviennent en vain
De leur enfance,

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Je forme un chant de lin,
De miel et d’aube enfin venue
Pour soigner les visages
Marbrés de nuit blessée.

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Par la fumée du très haut bleu
Offrant la calme neigeµ
Et ses jardins de lune,
Par l’encens des lointains,
L’échelle de la lumière
La source du vent pur
Qui sait laver la roche
Et l’herbe du regard,

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Je trace un cercle entier
Enlaçant les errances
Et les berçant
De son irisation,

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Je trace un cercle protecteur,
Offrant ma lampe à chaque absent
Et ses doubles tremblés
Qui respirent en son nom,

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Je forme un chant,
Lustré de miel
Et d’invisible,
Avec le ciel et le blé souple
Intemporel,
Fiancé aux grandes houles de l’espérance,

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Je forme un chant.

Marc-Henri Arfeux

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Qui donc écrit sa faim
Lorsque joue l’archet
Avec l’orage ?

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Poser ses lèvres sur la terre,
Tremper ses doigts dans la rosée,
Étancher sa soif de vivre,
Sentir l’accord avec ses pères,
Peser les battements du cœur,
Les délester de toute peur,
Graver l’amour
Sur sa peau sismographe,
Quel moulin mû par le poids
Des corps meurtris et solidaires
Pour offrir la paix au monde ?

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Nous guérirons la dispersion.

Les cernes accoupleront

L’espoir aux fleurs.

Charles Akopian

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Conversation avec une bombe

Une bombe dit à une ville :
« Je tombe. »
La ville demanda :
« De quel côté es-tu ? »
La bombe dit :
« Je ne prends aucun parti. Je tombe. »
La ville dit :
« Regarde autour de toi. »
La bombe a dit :
« Trop tard. »
La ville n’a rien dit.

Conversation with a Bomb

A bomb said to a city:
« I’m falling. »
The city asked:
« Whose side are you on? »
The bomb said:
« I take no sides. I’m falling. »
The city said:
« Look around you. »
The bomb said:
« Too late. »
The city did not say anything.

Une chose encore à propos de la guerre


Une chose encore à propos de la
guerre
(en dehors de celle que nous connaissons tous,
celle qui consiste à tuer)
c’est que, une fois qu’elle commence,
vous n’avez plus le droit de parler de petites choses,
comme les koalas, les arbres, la glace qui fond, les poèmes et les peintures,
tout ce qui, quand on y pense,
vaut davantage la peine qu’on en parle que n’importe quelle guerre

Another thing about a war

Another thing about a war
(besides the one we all know,
the one about killing)
is that, once it begins,
you have no right to talk about small things,
such as koalas, trees, melting ice, poems, and paintings,
which, when you think about it,
are worth talking about more than any war

poèmes et traduction de Nina Kossman (Russie-USA)

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J’ai vécu la guerre et les guerres n’ont pas de diminutifs
Toutes sont douloureuses

Un jour

Voyons si je peux comparer
les jours d’horreur que j’ai vécus avec
l’explosion qui a projeté
les morceaux de cerveau
d’un nourrisson dans
mes mains vides
vides de tout instrument
incapables de faire le mal
l’angoisse vécue dans un rêve
neuf mois avant que la chose
n’arrive réellement, il y a 22 ans
je vois en ce jour
trois fois répétés des faits criminels
combien il est difficile  de revivre
la même souffrance de  guerre sur mon
Corps d’’Humanité
quand le vent souffle à l’Est
la douleur que je ressens à ma droite
quand le vent souffle à l’Ouest
la douleur que je ressens sur ma  gauche
quand je vois mourir des enfants
du Nadir à l’Horizon
un murmure montant du  
profond de mon coeur brise les lourdes
Portes du Ciel, tout en Cèdre du Liban
dont les tenons dorés ne sont plus que débris
un jour cela sera…
un jour sur la rive dorée
un jour cela sera…
un jour, un jour d’une vie d’homme
la vie refleurira adorant le vivant
car il n’est nul salut dans la cupidité ni
de béatitude dans l’effusion de sang
car il n’est de blessure sur terre
qui ne fasse souffrir mon Etre Humanité

Fahredin Shehu
(trad. Marilyne Bertoncini)

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Les sirènes de bombardement déchirent l’air
stridentes et lancinantes
Cachez-vous où vous pouvez !
L’air est lourd de fumée
Car la Place de la Liberté
Est  en flammes
Vous  sentez comme on suffoque
Par manque d’air!
Ah, mais vous êtes juste en train de
regarder la télévision?
Vous avez aussi la crise des réfugiés
En préparation ?

Pankhuri Sinha
trad. Marilyne Bertoncini

POUR QUI PARLE LE POÈTE

Où est-il celui qui parlait le langage des astres ?

Celui capable de réformer le monde
Ou de l’embraser d’un souffle acide
De l’enrouler d’un bon mot
Jusqu’à l’implosion des sens
De faire de tout ce qui était
Beauté incandescente

Où es-tu ?

Toi le dernier Nadir
Fais-nous entendre ta voix
Tu ne peux plus t’adresser qu’à une poignée d’hommes
Tu dois parler à tous
Descends de ton Zénith
De ta copieuse bibliothèque
Reviens-nous d’Abyssinie
Avec de l’or autour de la taille
Distribue tes trésors au peuple
Accompagne les dans leur combat

Mais il n’est peut-être pas trop tard

Même si voici venu le temps des nombrilistes
Des briseurs de rêves
Que dans ta silencieuse fureur
Tu nous as tourné le dos à tous
Sans distinction aucune
Et que ton verbe est à peine inaudible
Ta race devenue la triste risée des puissants
Invente donc un nouveau langage
Libère-nous des maîtres abusifs
Des uniformes étriqués
Embarque-nous dans tes soirs bleus d’été
Fais de chaque vision
Notre éternité

Reviens-nous
Toi l’enfant
Le voyant
Le dernier résistant

Grégory Rateau

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The here and now

We are little things, God, we are almost nothing,

               maybe we are memory, a breath of air,

a shadow of passing men, our relatives,

               maybe the memory of some lost life,

a thunder that calls us back from afar, 

               we go without knowing, singing for fame,

and nothing remains for us of what we serve

               with the blind awareness with which one swims;

                                            but

snow can soothe your soul more than you ever thought

               let your problems drift into the vast distance

reminiscent of cherry blossoms, the cold of the frost contrasted

by the warmth of the sun setting perfectly.

               This gives me a sense of hope.

Patrick Williamson

Ici et maintenant

Nous sommes peu de chose, Dieu, nous ne sommes presque rien,

peut-être  un souvenir, un souffle,

une ombre de passants,  nos parents,

peut-être le souvenir de quelque vie perdue,

un tonnerre qui nous rappelle de  bien  loin,

nous allons sans savoir, en chantant pour la gloire,

et ne nous reste rien de ce que nous servons

avec la même conscience aveugle  qui fait que l’on nage ;

mais

la neige peut apaiser votre âme plus que vous ne le pensiez

laissez  dériver vos soucis vers le lointain

rappelant les fleurs de cerisier, le froid du givre contrastant

avec la perfection d’un chaud couchant .

Voilà ce qui me donne un sentiment d’espoir.


trad. Marilyne Bertoncini